Est-ce la fin de la radiothérapie dans le lymphome de Hodgkin localisé défavorable ?

Réf.HematoStat.net ; 1(10) : U4

Stratégie guidée par la TEP pour éviter la radiothérapie dans le lymphome de Hodgkin localisé défavorable (GHSG HD17) : une étude de phase 3 multicentrique randomisé ouverte.

PET-guided omission of radiotherapy in early-stage unfavourable Hodgkin lymphoma (GHSG HD17): a multicentre, open-label, randomised, phase 3 trial

Borchmann et al. PET-guided omission of radiotherapy in early-stage unfavourable Hodgkin lymphoma (GHSG HD17): a multicentre, open-label, randomised, phase 3 trial. Lancet Oncol2021, 22 :223-34

Contexte de l’étude

L’association chimiothérapie et radiothérapie est la référence de traitement des patients avec lymphome de Hodgkin localisé (stade I-II Ann Arbor) et caractère défavorable selon les critères de l’EORTC ou du GHSG (favorable si pas de facteur de risque, défavorable si ≥ 1 facteur de risque). Deux tiers des formes localisées ont un critère pronostique défavorable. La PFS à 5 ans chez ces patients est actuellement de 85-90%.

Dans l’étude H10, une stratégie testant 6 ABVD sans radiothérapie, n’a pas montré sa non-infériorité avec la stratégie classique associant 4 cures d’ABVD et une radiothérapie de 30 Gy (INRT)1.

Une étude récente, H14, a montré la supériorité en termes de PFS, mais non en OS, d’une stratégie de type « 2+2 » associant 2 BEACOPP escaladés puis 2 ABVD par rapport à 4 ABVD, dans les deux cas avec une radiothérapie de clôture de 30 Gy (IFRT). Ce bénéfice se fait au prix d’une toxicité immédiate plus importante, avec des effets secondaires de grade 4 à la phase aiguë de 56% vs 5%, sans différence de mortalité ni de survenue de néoplasies secondaires à 10 ans 2. Les effets plus tardifs (jusqu’à 20 ans) ne sont pas connus, le retentissement sur la fertilité à moyen terme semble modeste.

La stratégie de type « 2+2 » est désormais la référence de traitement en Allemagne, pas en France où l’ABVD reste majoritairement utilisé en première ligne.

Objectifs de l’étude

  • Évaluer la non-infériorité d’une stratégie sans radiothérapie en cas de négativité d’une TEP après 2 BEACOPP escaladés et 2 ABVD.
  • Évaluer l’apport pronostic du TEP scanner après 4 cures chez des patients traités par 2+2.

Résultats de l’étude

Un total de 1100 patients a été inclus, randomisés en 1 :1 dans 2 groupes, 548 dans le groupe standard, avec une stratégie combinée chimiothérapie + radiothérapie, 552 dans le groupe expérimental avec une stratégie guidée par la TEP après 4 cycles. Dans le groupe standard, tous les patients recevaient une radiothérapie (30 Gy, IFRT), dans le groupe expérimental, seuls les patients avec TEP4 positive recevaient une radiothérapie (30 Gy, INRT).

Le critère de positivité de la TEP4 était ici un score de Deauville de 3 à 5. Le taux de TEP4 négative était de 65% et de 68%, respectivement dans les groupes standard et expérimental.

La PFS à 5 ans était de 97.3 % [IC 95% : 94.5-98.7] dans le groupe standard et de 95.1 % [IC 95% : 92.0-97.0] dans le groupe expérimental, en analyse per protocole. La différence entre les deux groupes était de 2.2 % [IC 95% : -0.9 ; 5.3]. Le critère de non-infériorité fixé à 1.5 % (pour une borne supérieure d’intervalle de confiance à 95% de 8%, avec une puissance de 80%) est atteint. Le résultat est similaire en analyse post hoc, chez les patients avec bulky ou masse médiastinale volumineuse.

L’importance pronostique de la positivité de la TEP après 4 cures est confirmée avec une meilleure PFS chez les patients avec TEP4 négative (HR : 3.03 [IC95% : 1.10-8.33] p=0.024). En analyse post hoc, avec un seuil de positivité de la TEP fixée à un score de Deauville de 4 ou 5, l’importance pronostique était plus marquée (HR : 10.19 [IC95% 4.16-25.00] p<0.0001). En analyse multivariée incluant les autres données cliniques initiales, la TEP 4 avec un seuil de score de Deauville de 3 à 5 n’était pas significativement liée à la PFS. En revanche, elle l’était avec un score de Deauville de 4 ou 5 (HR : 10.19 [IC95% 4.00-27.38] p<0.0001).

Figure 1 : courbes et estimations de la survie sans progression à 5 ans par technique de Kaplan Meier de la population analysée en per protocole (A) et du sous-groupe de patients avec PET4 négative de la population analysée en per protocole (B).
PET4 : TEP scanner réalisée après 4 cycles de chimiothérapie.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Cette étude valide une stratégie de première intention permettant d’éviter la radiothérapie pour les lymphomes de Hodgkin localisés défavorables. Cette stratégie associe 2 BEACOPP escaladés, 2 ABVD puis un arrêt de traitement sans radiothérapie pour les patients avec TEP négative après ces 4 cures (critère de positivité : score de Deauville 3 à 5).

Le bénéfice de cette stratégie avec chimiothérapie plus intense d’emblée, avait montré son bénéfice en termes de PFS dans l’essai H14 avec un suivi des effets secondaires à 10 ans rassurants2. Ce concept, avec désescalade pour les répondeurs précoces, avait aussi été testé efficacement pour les stades avancés dans l’essai AHL 20113.

Deux stratégies sont donc utilisables actuellement en première ligne. La première stratégie avec 4 ABVD et radiothérapie, permet d’éviter une chimiothérapie intense de type BEACOPP escaladé chez 75 à 80 % des patients avec une TEP négative après 2 cures d’ABVD, mais au prix d’une radiothérapie systématique. La seconde stratégie de type de type 2+2 permet d’éviter la radiothérapie chez 2/3 des patients avec TEP 4 négative, mais avec une exposition systématique au BEACOPP escaladé. Seules les données de toxicité et de fertilité à très long terme permettront de trancher. D’autres critères pronostiques pourraient s’avérer utiles, comme le volume tumoral métabolique total au diagnostic.

Le choix en 2021 peut se faire sur des critères de centre (capacité à encadrer une chimiothérapie lourde de type BEACOPP) ou de patient. On peut par exemple éviter l’utilisation du BEACOPP pour les 40-60 ans chez qui la toxicité est accrue, ou favoriser l’utilisation du 2+2 chez les patients avec grosse masse médiastinale chez qui un plus grand champ d’irradiation sera nécessaire, avec plus de toxicité de la radiothérapie attendue.

En ce qui concerne le seuil de positivité de la TEP. Le seuil de positivité pour un score de Deauville ≥ 4 est le plus performant d’un point de vue pronostique. Le seuil plus sensible avec Deauville≥ 3a été choisi ici pour optimiser la réussite de l’étude en évitant un potentiel sous traitement des patients avec score de Deauville à 3. Cela a conduit à un taux important de positivité après 4 cures (un tiers des patients). Même s’il est probable que la radiothérapie puisse être évitée pour une majorité de ces patients avec un score de Deauville à 3, cette stratégie sera à évaluer de manière prospective. Actuellement, le seuil de positivité de la TEP avec un score de Deauville ≥ 3 à utiliser pour limiter la radiothérapie après chimiothérapie de type 2+2.

Critique méthodologique

Nous sommes face à des résultats d’un essai de phase 3 multicentrique open-label dont l’outcome principal est la survie sans progression (PFS). L’étude a été construite autour d’une hypothèse de non-infériorité basée sur l’intervalle de confiance de la différence de probabilité de PFS observée à 5 ans entre le bras standard et le bras TEP4. Ce qui peut paraître original à défaut d’être alambiqué mais simple d’usage. De base, d’après les calculs de sample size, un nombre de 35 événements de survie sans progression étaient prévus en théorie pour une puissance de 80% ; en pratique, l’étude indique que 25 évènements seulement sont survenus et la médiane de follow-up est de 46.2 mois sur l’ensemble de la population, soit moins de 5 ans (notre date de rendez-vous pour l’estimation de la probabilité de survie). Bien que cela ne puisse rien changer aux conclusions établies et que la méthodologie en elle-même semble solide, il est à noter un déficit de puissance statistique (car moins d’événements que prévu) et sur une période de suivi qui aurait mérité d’être plus longue pour avoir plus de 158 patients à risque au dénominateur à 5 ans de follow-up (sachant que la grande majorité des patients est encore en vie). Concernant l’analyse de sensibilité sur l’impact pronostic d’un TEP4 positif (avec un score de Deauville supérieur ou égal à 3), l’analyse multivariée ne démontrant pas un effet significatif par rapport à l’analyse univariée n’a rien de surprenant. D’une part, nous étudions une sous-population de cette étude (n=646), et donc avec probablement moins de 25 événements de PFS (ce qui explique déjà les intervalles de confiance de très larges des hazard-ratios qui sont élevés), des ajustements multi-factoriels peuvent donc avoir un effet sensible sur le résultat. D’autre part, le résultat significatif en multivarié obtenu en tenant compte d’un score Deauville de 4 ou + est également à prendre avec réserves ; on est ici -pour rappel- dans le cadre d’analyses descriptives post-hoc. Il faudra d’autres études pour observer si un TEP4 positif a un réel impact sur la survie.

Points forts Points faibles
Cliniques ·

  • Essai de phase III de grande envergure avec méthodologie solide.
  • Continuité avec l’essai H14.
  • Seuil de non infériorité basé sur le maximum de la borne supérieure de l’intervalle de confiance à 95%, ce qui est cliniquement pertinent.
  • Le choix du seuil de positivité du TEP pour un score de Deauville de 3 à 5.
  • Type d’irradiation différente dans les 2 groupes (IFRT vs INRT)
  • Pas de TEP initiale ni après 2 cures, facteurs pronostiques pourtant reconnus.
  • Temps de suivi limité, vu la latence avant les potentiels effets secondaires (<20 ans). Non évitable en pratique.
Statistiques
  • Analyses de sensibilité sur l’impact d’un PET4 positif sur la PFS.
  • Ensemble détaillé des outcomes, données de toxicité et autres événements indésirables.
  • Beaucoup d’analyses post-hoc sur l’impact pronostic de PET4 soit peu, soit trop détaillées dans le texte.
  • Moins d’événements de PFS que prévu : quid de la puissance statistique ?

Références :

  • André A et al. Early Positron Emission Tomography Response–Adapted Treatment in Stage I and II Hodgkin Lymphoma: Final Results of the Randomized EORTC/LYSA/FIL H10 Trial. J Clin Oncol 2017. 35 :1786-1794.
  • Gillessen S et al. Intensified treatment of patients with early stage, unfavourable Hodgkin lymphoma: long-term follow-up of a randomised, international phase 3 trial of the German Hodgkin Study Group (GHSG HD14). Lancet Haematol Avril 2021. 8 :e278-88.
  • Casasnovas RO et al. PET-adapted treatment for newly diagnosed advanced Hodgkinb lymphoma (AHL 2011) : a randomized, multicentre, non inferiority, phase 3 study. Lancet Oncol 2019;20: 202-15.

Abréviations

EORTC : European Organisation for Research and Treatment of Cancer.

GHSG : German Hodgkin Study Group.

ABVD : Adramycine Bléomycine Viblastine Dacarbazine.

INRT : involved node radiotherapy .

PFS : survie sans progession.

OS : survie globale.

BEACOPP : Bléomycine Etoposide Adriamycine Cyclophosphamide Vincristine Prednisone Procarbazine.

IFRT : involved field radiotherapy.

RC: rémission complète.

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