Prophylaxie du système nerveux central par méthotrexate haute dose associé au R-CHOP 21 dans le lymphome B diffus à grandes cellules à haut risque : dès les premiers cycles ou en fin de traitement ?

Réf.HematoStat.net ; 1(11) : U6

Timing de la prophylaxie du système nerveux central par méthotrexate haute dose dans les lymphomes B diffus à grandes cellules : une analyse de toxicité et d’impact sur la faisabilité du R-CHOP.

Timing of high-dose methotrexate CNS prophylaxis in DLBCL : an analysis of toxicity and impact on R-CHOP delivery.

Wilson et al. Timing of high-dose methotrexate CNS prophylaxis in DLBCL : an analysis of toxicity and impact on R-CHOP delivery. Blood advances, August 2020,4,20 : 3586-93. Doi :10.1182/bloodadvances.2020002421

Contexte de l’étude

Chez les patients atteints de lymphome B diffus à grandes cellules, certains facteurs sont associés à un haut risque de rechute dans le système nerveux central (SNC) : score IPI-CNS >3, LDH élevées, plus de deux atteintes extra nodales, certains sites anatomiques (sein, utérus, ovaire, testicules, sinus, épidural, rein, surrénal) et certaines anomalies génétiques (double et triple « hit »). Le taux de rechute dans le SNC chez ces patients est d’environ 10-15%. Les rechutes du SNC sont surtout parenchymateuses, il existe plusieurs arguments faisant douter du moindre intérêt des injections intrathécales de méthotrexate. La prophylaxie est désormais réalisée majoritairement par méthotrexate haute dose (HD-MTX), dont l’efficacité est suggérée par plusieurs études rétrospectives. Les modalités d’injection ne sont pas consensuelles. Le HD MTX peut être réalisé de manière intercalée au R-CHOP (iHD-MTX), stratégie visant à éviter des rechutes précoces. Il peut aussi être réalisé en fin de traitement (« End of treatment » EOT HD-MTX), après les 6 R-CHOP, pour éviter un retard dans la réalisation des R-CHOP à cause de la toxicité surajoutée du HD-MTX. Cette optimisation de la dose intensité a pour objectif de maintenir un contrôle systémique optimal, la majorité des rechutes étant systémiques. De plus un bon contrôle systémique pourrait être associé à un taux de rechute du SNC plus faible.

Objectifs de l’étude

Évaluer la tolérance de l’association R-CHOP et HD MTX, notamment en termes de retard à la réalisation du R-CHOP en comparant iHD-MTX et EOT HD-MTX.

Résultats de l’étude

De manière rétrospective et multicentrique, 334 patients ont été inclus, 204 dans le groupe iHD-MTX, 130 dans le groupe EOT HD-MTX. Soixante-six patients (32%) dans le groupe iHD-MTX et 18 (15%) dans le groupe EOT HD-MTX ont présenté au moins un épisode de retard à la réalisation d’un cycle de R-CHOP d’au moins 7 jours (p=0.001). En analyse multivariée (table 1), l’Odds ratio (OR) associé au iHD-MTX était de 3.06 (IC : 95% ; 1.62-5.77), p=0.001. Dans le sous-groupe des patients iHD-MTX, le retard dans l’administration du R-CHOP était significativement plus fréquent en analyse multivariée lorsque le HD-MTX était réalisé après le 9èmejour du cycle de R-CHOP OR :1.74 (IC : 95% ; 1.03-2.93), p=0.04.

Table 1 : analyse univariée et multivariée des facteurs de risque associés à un décalage du R-CHOP.

Table 1 : analyse univariée et multivariée des facteurs de risque associés à un décalage du R-CHOP.

La survenue de mucites (10% vs.4%, p=0.001) et de neutropénies fébriles (10% vs.2%) était plus fréquente dans le groupe iHD-MTX.

En termes d’efficacité, il n’existait pas de différence en termes de survie globale, survie sans progression et survie sans progression du SNC (figure 1A&1B).

Figure 1 A : incidence cumulée de rechute du système nerveux central selon le timing du méthotrexate haute dose (HD MTX).

Figure 1 A : incidence cumulée de rechute du système nerveux central selon le timing du méthotrexate haute dose (HD MTX).

Figure 1 B : survie sans progression selon le timing du HD-MTX C) Survie globale selon le timing du HD-MTX.

Figure 1 B : survie sans progression selon le timing du HD-MTX C) Survie globale selon le timing du HD-MTX.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Il n’existe pas de différence en termes d’efficacité des deux modalités d’administration du HD-MTX. Il existe dans cette étude des limites nous imposant de prendre ces résultats avec prudence. En plus du caractère rétrospectif, davantage de patients dans le groupe EOT HD-MTX étaient à haut risque selon le CNS-IPI (58% vs.39%, p<0.001) et ont été traités de manière concomitante par injections intrathécales de MTX (56% vs.34%, p<0.001).

La toxicité est supérieure dans le groupe iHD-MTX et cela a un impact sur le respect d’une dose-intensité optimale pour le traitement systémique.

Un travail prospectif sera nécessaire pour apporter une preuve et une modification des pratiques cliniques. Malgré tout, après un bilan initial de la maladie sans argument pour une infiltration du SNC, il est envisageable de réaliser une prophylaxie par HD-MTX réalisée en fin de traitement après les 6 cycles de R-CHOP.

Critique méthodologique

Comme précisé, il s’agit d’une étude rétrospective dont le niveau de preuve suffit juste à émettre des hypothèses quant aux résultats observés.

Les analyses primaires testent dans un premier temps l’impact des iHD-MTX au cours des 409 cycles des 204 patients concernés par l’administration intercalée du MTX via un modèle logistique qui traite le retard de façon binaire. Quelques « red flags » sont à signaler sur cette première analyse : aucune spécification sur le choix des variables analysées ; aucune précision par les auteurs sur la méthode utilisée pour déterminer qu’une administration de MTX sur une période supérieure à 9 jours dans le cycle de R-CHOP rendait l’odds-ratio meilleur (ce qu’on pourrait déterminer par une courbe ROC) ; les patients ayant plusieurs cycles ne sont pas traités comme une variable aléatoire (il n’est pas indiqué que le modèle est dit mixte dans la publication).Ànoter que parmi ces 409 cycles, la distribution des retards est très variable avec 7 jours en valeur médiane, allant de minimum 2 à maximum 150 jours. Ensuite les analyses se portent à l’échelle des patients (cf. table 1) ce qui soulève un nouveau bémol : il n’y a pas d’ajustement sur score CNS-IPI (dont les scores élevés étaient significativement plus présents dans le groupe EOT).

Concernant les courbes de rechute et de survie, elles sont à interpréter avec la plus grande prudence car elles ne permettent pas de savoir si iHD-MTX fait mieux que EOT-MTX. En effet, on compare deux populations avec leurs caractéristiques respectives et non pas l’administration de MTX comme un facteur de risque en soi. Et surtout car les courbes démarrent au diagnostic et non pas au début ou à la fin du traitement ! En conséquence, les traitements n’étant pas analysés comme des variables temps-dépendantes (c’est-à-dire se modifiant au cours du suivi du patient), il se peut qu’un biais d’immortalité soit introduit dans ces courbes sans savoir à quel niveau (en effet, on ne connaît pas le délai entre le diagnostic et le début des R-CHOP). Il est donc impossible d’inférer dessus : ces représentations ne sont que les illustrations de la survie ou de la rechute des deux populations iHD-MTX vs.EOT-MTX depuis le diagnostic et rien d’autre. Il faudrait des modélisations de Cox ou Fine & Gray plus poussées afin de déterminer si le MTX intercalé ou en fin de traitement à un impact ou non sur ces outcomes.

Points forts Points faibles
Cliniques
  • Étude traitant d’un sujet d’actualité, soumis à de nombreuses interrogations.
  • Rétrospectif.
  • Différence entre les groupes (prophylaxie intrathécale, IPI-CNS).
Statistiques
  • Des analyses statistiques avec de bonnes intentions…
  • …mais qui manquent de rigueur méthodologique dans les analyses de facteurs relatifs aux retards de R-CHOP.
  • Possible biais d’immortalité dans les courbes de survie et d’incidence de rechute.

Abréviations

R-CHOP : rituximab 375 mg/m² J1, cyclophophosphamide 750 mg/m² J1, doxorubicine 50 mg/m² J1, vincristine 1.4 mg/m², prednisone 40 mg/m² J1 à J5, OR : odds ratio, IC95% : intervalle de confiance à 95%.

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