Intensifier la Matri(x)ce, coûte que coûte, dans le Lymphome Cérébral primitif

Publié le : 16 janvier 2023

Intérêt de l’immunochimiothérapie conventionnelle par rapport à l’intensification avec support de cellules souches autologues en consolidation du traitement des patientsatteints d’un Lymphome Cérébral Primitif. Essai de phase 3
(MATRix/IELSG43).

Effects on Survival of Non-Myeloablative Chemoimmunotherapy Compared to High-Dose Chemotherapy Followed By Autologous Stem Cell Transplantation (HDC-ASCT) As Consolidation Therapy in Patients with Primary CNS Lymphoma – Results of an International Randomized Phase III Trial (MATRix/IELSG43).

D’après la communication orale de Illerhaus et al. Abstract # LBA-3. ASH 2022.

Contexte de l’étude

Le lymphome primitif du système nerveux central (LCP) est une hémopathie agressive particulièrement difficile à traiter. En effet, la barrière hémato-méningée diminue fortement la biodisponibilité des molécules de chimiothérapie habituelle. La consolidation par chimiothérapie intensive et autogreffe est la stratégie la plus efficace chez les sujets jeunes, tandis que la radiothérapie encéphalique est associée à une neurotoxicité plus sévère(1, 2). Ces stratégies d’intensification thérapeutiques sont réservées à des sujets plutôt jeunes, en bon état général, et ne sont pas dénuées de décès de causes toxiques. 

Objectif de l’étude

L’essai IELSG43, est un essai de phase 3 pour les patients atteints de LCP au diagnostic, âgés de 18-65 ans (ou 66-70 ans avec ECOG<3). Les patients bénéficiaient tous de quatre cycles d’induction par MATRix (rituximab 375mg/m², méthotrexate 3.5g/m² J1, cytarabine 2*2g/m²/j J2-J3 et thiotépa 30mg/m² J4), une collecte de Cellules Souches Périphériques (entre C2 et C3) puis une randomisation en cas de maladie au moins en réponse partielle. Le bras intensif recevait un traitement par BCNU (400mg/m²) ou busulfan (2*3.2mg/kg), thiotépa (2*5mg/kg/j J-5 à J-4), puis la réinjection des CSP.  Le bras non-intensif recevait 2 cycles de R-DeVIC (rituximab 375mg/m², dexaméthasone 40mg/j J1-3, étoposide 100mg/m² J1-3, ifosfamide 1.5g/m² J1-3 et carboplatine 300mg/m² J1). L’objectif primaire était la survie sans progression (SSP). 

Résultats de l’étude

Des 368 patients inclus, 22 ont été exclus (pas de raison donnée), 346 ont débuté le traitement, mais 116 (~1/3) ont quitté l’étude avant la randomisation (les principales raisons étaient la toxicité [~50%] et les mauvais répondeurs [~40%]). La randomisation a concerné 230 patients (population ITT), avec 115 patients dans le R-DeVIC et 114 dans le bras intensif. 

Les bras étaient comparables, avec 20-25% de patients de plus de 65 ans, et des formes multifocales dans plus de 50% des cas. En termes de toxicités, de façon attendue, le bras intensif a connu plus d’évènements de grade 3/4 (cytopénies, infections, mucite). La mortalité liée au traitement (TRM) d’induction est élevée, à 3.8% avec 11 évènements infectieux et deux hémorragies digestives. La TRM post-randomisation est estimée à 3.4% dans le bras intensif (et nulle dans le bras conventionnel). 

Concernant l’efficacité pour les patients effectivement randomisés, les taux de rémission post- procédure (intensive ou 2 DeVIC) sont assez similaire, 65.2% pour le bras conventionnel et 67.5% pour le bras intensif (15.7 et 21.2% de réponse partielle pour ces bras respectivement). Cependant, les SSP (suivi médian de 45m), sont en faveur du bras intensif : 79% vs. 53% à 3 ans (HR=0.40, p=0.0002), figure 1. 

Figure 1 : survie sans progression Intensification vs. R-DeVIC.

Ces résultats sont homogènes au sein des sous-groupes (âge, qualité de la réponse avant randomisation, ECOG). Ces bons résultats se traduisent en survie globale, avec un écart plus réduit, mais significatif à 3 ans : 86 vs. 71% (HR=0.46, p=0.0077) (figure 2).

Figure 2 : survie globale Intensification vs. R-DeVIC.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Cet essai « sans nouvelle drogue » démontre la faisabilité et l’impact pronostic majeur de l’intensification thérapeutique, jusqu’à 70 ans, ce qui devrait guider nos choix thérapeutiques dans nos décisions de RCP pour les patients présumés capables de recevoir de tels traitements. Il ne faut pas oublier que ces chiffres ne concernent que les patients randomisés, et que près d’un tiers des patients de l’essai n’ont pas pu aller jusqu’à la randomisation, autant par toxicité que par insuffisance de réponse. Un essai
« OptiMATe » est en cours, avec une pré-phase (!) par 2 R-MTX avant 2 MATRix, afin de limiter la toxicité avant intensification. 

Critique méthodologique

Cet essai clinique de phase 3 multicentrique européen open-label se concentre sur une leucémie localisée dans une zone très sensible du corps humain, le cerveau. L’objectif principal est la survie sans progression (PFS), avec entre autres critères secondaires la survie globale, la toxicité (et plus spécifiquement la neurotoxicité) ainsi que la qualité de vie des patients. Les détails du calcul de nombre de patients par groupe est bien indiqué, partant d’une puissance de 80% (le minimum recommandé) avec une probabilité de survie de 50% pour le bras R-DEVIC (notre bras contrôle) et 18 points de plus pour l’association chimio intensive plus autogreffe. Sans toutefois préciser à quel timepoint après randomisation ils prévoyaient ces résultats (2 ans ? 3 ans ?). En parlant de la randomisation, elle a été effectuée après induction et exclusion des patients mauvais répondeurs, une stratification ayant été opérée selon le statut de la réponse (complète ou partielle). 

Les résultats sont sans appel : les courbes de PFS et d’OS sont significativement meilleures pour le bras chimio et autogreffe, mais au prix d’événements indésirables de grade 3-4 plus nombreux. Il manquerait cependant le test comparant les taux de réponses complètes entre les 2 bras, mais cela se recalcule très rapidement d’après les effectifs de départ et les pourcentages respectivement obtenus : 65.2% pour R-DEVIC (n=115) vs. 67.5% (n=114) pour chimio intensive+autogreffe, p=0.78 (test de Fisher). À noter que les cliniciens ont visé juste lors de la rédaction du protocole : dans cette étude, la survie sans progression à 3 ans des patients du bras de référence R-DEVIC était de 53% (ils prédisaient environ 50%, à 3 ans donc ?). Des analyses en sous-groupes sur la PFS ont montré des résultats non-significatifs pour les patients de plus de 60 ans, ceux en réponse en partielle, et avec des CSF ou LDH augmentés. Sachant que les effectifs de ces sous-groupes sont plus faibles et peuvent entraîner donc des intervalles de confiance plus larges, cela permet de nuancer ces résultats et relever malgré tout une tendance positive en faveur du bras chimio+autogreffe (les HR restaient bien inférieurs à 1). Une analyse de facteurs de risque supplémentaire aurait permis d’affiner davantage ces résultats. On peut également regretter que les résultats sur la qualité de vie ne soient pas présentés.

Références 

  1. Houillier, Caroline, Carole Soussain, Hervé Ghesquières, Pierre Soubeyran, Olivier Chinot, Luc Taillandier, Thierry Lamy, and al. 2020. « Management and outcome of primary CNS lymphoma in the modern era ». Neurology 94 (10): e1027‑39. https://doi.org/10.1212/WNL.0000000000008900.
  2. Schenone, Laurence, Caroline Houillier, Marie Laure Tanguy, Sylvain Choquet, Kossi Agbetiafa, Hervé Ghesquières, Gandhi Damaj, and al. 2022. « Intensive Chemotherapy Followed by Autologous Stem Cell Transplantation in Primary Central Nervous System Lymphomas (PCNSLs). Therapeutic Outcomes in Real Life-Experience of the French Network ». Bone Marrow Transplantation 57 (6): 966‑74. https://doi.org/10.1038/s41409-022-01648-z.

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