Quels besoins non couverts restent-ils dans la LMC ?

Publié le : 17 octobre 2022Tags:

Depuis l’arrivée de l’imatinib en 2001, vingt ans d’essais cliniques nous ont permis de mieux appréhender l’efficacité et le profil de toxicité des 5 ITK disponibles dans la LMC et d’établir des recommandations telles que celles de l’ELN visant à en optimiser l’administration. Le développement croissant d’études menées en « vie réelle » apporte des informations complémentaires sur la balance bénéfice/risque de chaque ITK et nous aident à cibler les problématiques de prise en charge restantes.

Changement d’ITK : la problématique d’intolérance prépondérante en vie réelle

Le groupe d’expert québéquois a présenté à l’occasion de cet EHA 2022 son étude « en vie réelle » visant à évaluer la fréquence et les motifs de changement d’ITK chez les patients LMC, (abstract S159). Leur analyse a porté sur 795 patients issus d’un registre créé en 2009. Avec un suivi médian de 7,5 ans, la proportion de patients concernés par un changement d’ITK est de 44,9 % en 1ère ligne, 43,9% en 2ème ligne, 37,5% en 3ème ligne et 39% en 4ème ligne. Pour chaque ligne, le ratio intolérance/résistance est respectivement de 1.33, 4.3, 2.4, et 2.7. De manière intéressante, la survie sans switch est identique pour les patients traités imatinib, dasatinib, nilotinib que cela soit en 1ère, 2ème ou 3ème ligne (figure 1).
Les patients nécessitant un traitement de 3ème ligne ont une survie globale inférieure. Ces données montrent que le changement d’ITK est fréquent et motivé en premier lieu par un problème d’intolérance, il existe ainsi un besoin réel d’options thérapeutiques avec un meilleur profil de tolérance. L’asciminib fait figure de bon candidat notamment à travers l’essai ASCEMBL que nous détaillerons ci-après.

Figure 1 : analyse Kaplan-Meier de la survie sans switch en fonction de chaque ligne de traitement et de chaque ITK.

L’asciminib à l’honneur !

Le ponatinib est le seul ITK actif sur la mutation T315I, son administration peut être délicate en raison du risque thrombotique artériel associé. Il existe ainsi un besoin critique de nouvelles molécules pour les patients concernés par cette mutation conférant un haut niveau de résistance. L’asciminib (ASC) est le premier inhibiteur de BCR-ABL ciblant spécifiquement la poche de myristoylation de l’oncoprotéine. L’essai de phase 1 X2101 a permis de montré l’efficacité et un profil de tolérance favorable de l’ASC chez des patients T315I mutés lourdement prétraités et ainsi a conduit à l’enregistrement de l’ASC par la FDA comme nouvelle option thérapeutique pour les patients mutés T315I. Hughes et al., (abstract P704) ont rapporté les résultats actualisés de l’essai X 2101 testant l’ASC 200 mg 2 fois par jour en monothérapie chez des patients porteurs de la T315I ayant déjà reçu au préalable au moins 1 ITK. Parmi les 45 patients évaluables en termes de réponse sur 48 inclus, 22 (48.9%) ont obtenu une MMR à la semaine 96 : 9/26 (36.6%) ayant reçu du ponatinib au préalable et 13/19 (68.4%) n’en ayant jamais reçu. La probabilité de maintien de la MMR au-delà de 96 semaines est de 84% (IC95% 68.1-100). L’actualisation des données avec une durée d’exposition médiane de 2.08 ans (0.04-4.13) nous apprend que 56.3% des patients reçoivent toujours de l’ASC au-delà de 96 semaines. La dose intensité médiane de 398.3 (179-400) mg par jour reflète la bonne tolérance du traitement. Les effets indésirables (EI) de grade ≥ 3 les plus fréquents sont : 18.68% d’élévation de la lipase (toutes asymptomatiques), 14.6% thrombopénie et 6.3% pour chaque EI suivant : vomissements, élévation ALAT, douleurs abdominales, HTA, anémie, neutropénie. Ces données montrent la durabilité des réponses obtenues dans cette population dont la prise en charge demeurait critique en particulier en cas de résistance au ponatinib.

Cinq études conduites en « vie réelle » dans différents pays corroborent ce bon profil de sécurité notamment sur le plan cardiovasculaire et rapportent des taux de réponses élevés chez des patients résistants à plusieurs ITK et/ou porteurs de la mutation T315I (P706, P708, P709, P712, P718). L’asciminib va sans doute dans un futur proche bouleverser les pratiques en 3ème ligne !

Stratégie d’ajustement de la dose d’ITK à la réponse

Le bosutinib (BOSU) dispose d’un profil de sécurité notamment cardiovasculaire et respiratoire plus favorable que le nilotinib et le dasatinib. L’administration de BOSU à la dose de 500 mg par jour en 2ème ligne comme le stipule l’AMM n’est pas « impérative » pour tous les patients, l’ajustement de la dose à la recherche d’un équilibre tolérance/efficacité est une attitude pratiquée en vie réelle méritant d’être éprouvée en recherche clinique. L’essai BEST est une étude de phase 3 prospective menée par le GIMEMA (NCT 028810990). Tous les patients débutent le BOSU à 200 mg par jour pendant 2 semaines puis augmentent à 300 mg par jour ; après 3 mois de traitement si le ratio est > 1% la posologie est majorée à 400 mg par jour en l’absence de toxicité patente, tandis que si le ratio est ≤ 1% le BOSU est poursuivi à 300 mg par jour. L’étude a inclus 63 patients répondant aux critères suivants : âge > 60 ans, LMC en phase chronique, en situation échec/intolérance à ≥ 1 ITK. L’âge médian des patients est de 73 ans, 32 % d’entre eux ont un score Sokal élevé tandis que la proportion d’intolérants et de résistants est respectivement de 63% et 37%. Avec un suivi médian de 12 mois (9-33), la dose maximale de BOSU a été de 400 mg/jour pour 19%, 300 mg/jour pour 75% et 200 mg par jour pour 6%. Le taux cumulé d’obtention et/ou maintien d’une MMR à 12 mois est de 65% (73% pour les patients intolérants et 52% pour les résistants). À la date des dernières nouvelles, la majorité des patients (79%) poursuivent le BOSU, 88% d’entre eux recevant 300 mg par jour. L’administration du BOSU à 300 mg par jour en 2ème ligne apparaît comme une bonne alternative chez les sujets âgés.

La recherche d’une stratégie thérapeutique en termes de posologie est aussi de rigueur pour le ponatinib comme cela a été testé à travers l’essai OPTIC dont nous en présenterons la comparaison avec l’essai historique PACE.

LMC en phase accélérée

Un autre point critique dans la prise en charge de la LMC est celle des phases avancées notamment celle de la phase accélérée (PA) : faible effectif de patients, peu d’études prospectives, définition multiple selon les sociétés savantes, absence de stratification pronostique au diagnostic. La question de l’administration d’un ITK de 2ème génération en 1èreligne en cas de la LMC en PA a été abordée, comme nous le traiterons ci-après, par une équipe chinoise.

TFR : un topic toujours incontournable

L’essai clinique canadien DISC a évalué si le dasatinib (DASA) avait la capacité d’induire une TFR prolongée (TFR2) après échec d’un arrêt antérieur d’imatinib (TFR1). Le 1er arrêt du traitement était réalisé selon les critères suivants :
LMC en phase chronique, traitement par imatinib (IMA) ≥ 3 ans, et réponse moléculaire profonde de type MR4.5 ≥ 2 ans. En cas de récurrence moléculaire définie par une perte de MR4 sur 2 prélèvements consécutifs ou une perte de la MMR, les patients étaient traités par DASA 100 mg par jour pendant au moins 12 mois après obtention d’une réponse profonde de type MR4. Les auteurs ont précédemment rapporté les résultats de la TFR1, à savoir un taux de survie sans récurrence moléculaire de 56.8% à 12 mois (IC 95% : 47.8-64.8) avec un délai médian de récurrence moléculaire de 3.53 mois. À l’occasion de cet EHA 2022, Kim et al., (abstract S158) ont exposé les résultats finaux de cet essai DISC. Avec un suivi médian de 27.5 (2-51) mois, sur les 58/131 patients en échec, 51 ont reçu le traitement protocolaire par DASA. La réponse au DASA est rapide avec à 3 mois de traitement un taux de MMR de 98%, de MR4 de 87.9% et de MR4.5 de 75.4%. Sur les 35 patients ayant tenté un 2ème arrêt, on note seulement 4 succès (11.4%) soit 31 cas de perte de réponse moléculaire avec un délai médian de 3.65 mois. En conclusion, les 12 mois de switch par DASA n’améliorent pas de manière significative la TFR2. Les 12 mois de MR4 avant le 2ème arrêt sont peut-être insuffisants, d’autres essais cliniques sont clairement nécessaires pour mieux comprendre les enjeux et facteurs pronostiques de la TFR2 !     

Dr Émilie CAYSSIALS, Poitiers.

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