Jamais 2 sans trois : espérons que non !

Publié le : 30 octobre 2019Tags:

Un traitement par l’anticorps monoclonal Cael-101 (11-1F4) améliore le strain longitudinal parallèlement à la baisse du NTproBNP chez des patients avec une amylose AL cardiaque.
Improvement in Global Longitudinal Strain (GLS) Correlates with NTProbnp Response in Patients with Cardiac Amyloidosis Treated on a Phase 1b Study of Anti-Amyloid Mab Cael-101.
D’après la communication orale de Bhutani D et al., abstract #958, ASH 2018.

Contexte de l’étude

Les traitements de l’amylose AL reposent pratiquement uniquement sur l’élimination des cellules B monoclonales responsables de la sécrétion des chaines légères amyloïdogènes, permettant, si elles baissent suffisamment, l’élimination extrêmement lente par l’organisme des dépôts constitués. Avoir un médicament capable d’accélérer cette élimination serait un grand progrès dans cette maladie où les réponses d’organes peuvent mettre plus d’un an à apparaître une fois la réponse hématologique obtenue.
Au début de l’année 2018, trois anticorps étaient en cours d’essai. Le plus avancé, avec plus de 400 patients traités, le NEOD001 est un anticorps reconnaissant un épitope conformationnel des fibrilles d’amylose. Une étude de phase 1/2 portant sur 67 patients était extrêmement encourageante avec des réponses cardiaques, rénales et neurologiques chez la majorité des patients traités(1). Deux études randomisées en double aveugle contre placebo avaient été conduites, une phase 2 ayant inclus 136 patients en réponse hématologique avec une atteinte cardiaque persistante au moins 6 mois après la fin du traitement et une étude de phase 3 chez des patients naïfs traités par VCD + NEOD001 ou placebo. Les résultats ne montrent aucune différence pour la réponse cardiaque entre le NEOD001 et le placebo dans l’étude de phase 2 et une étude de futilité dans l’étude de phase 3 a montré qu’il n’y aurait pas de différence de survie entre les 2 bras. Le laboratoire Prothena a arrêté le développement de cet anticorps. Nous attendons la publication de l’ensemble des résultats de ces études puisqu’il existe un doute sur l’existence de réponses rénales. La 2ème approche, développée par l’équipe de Mark Pepys à Londres, est un peu plus complexe. Elle combine 2 traitements, une première molécule, le CPHPC capable d’éliminer du sérum la SAP (Serum Amyloid Protéin), protéine pentamérique ayant une grande affinité pour les dépôts d’amylose, puis un anticorps monoclonal anti-SAP venant se fixer sur la SAP présente dans les dépôts, quelque soit le type d’amylose, et capable de recruter des macrophages pour les éliminer. Plusieurs publications ont montré la validité de cette approche(2,3) mais les essais chez l’homme ont été très lents du fait de la complexité du traitement nécessitant une hospitalisation de 3 semaines. Nous avons appris à l’ASH l’abandon de cette 2ème approche du fait d’un manque d’efficacité en dehors du foie et de la survenue d’une vascularite chez un patient. Le 3ème anticorps est comme le NEOD001 un anticorps reconnaissant un épitope conformationel des fibrilles et a été lui aussi développé par l’équipe d’Alan Solomon. Contrairement au NEOD001 il y a des données solides, de capacité d’élimination des amyloïdomes et d’imagerie des dépôts(4,5), pour confirmer qu’il a une affinité importante pour les dépôts d’amylose. Une première étude de phase Ia/Ib a été publié(6) montrant des résultats encourageant avec 10 patients sur 14 ayant une réponse d’organe après une seule injection avec une tolérance excellente.

Objectifs de l’étude

Cette présentation reprend, parmi les mêmes 19 patients de la phase 1b d’escalade de dose (figure 1), les 10 patients avec une atteinte cardiaque et s’intéresse au strain longitudinal. Le strain longitudinal est une mesure de la déformation longitudinale du ventricule gauche pendant la systole. Il est intéressant dans les amyloses pour le diagnostic avec une altération précoce et un aspect typique en cocarde lié au respect de la pointe et pour le pronostic qui est clairement dépendant de sa valeur. L’objectif de cet étude est de confirmer la réalité des réponses cardiaques mesurées sur la baisse du NT-proBNP par l’amélioration du strain.

Figure 1 : shéma de l'étude.

Figure 1 : shéma de l’étude.

Résultats de l’étude

L’âge médian des 10 patients était 63 ans, de 37 à 79 ans. Sept patients avaient également une atteinte rénale et 2 à 4 patients des atteintes digestives, hépatiques, neurologique ou des tissus mous. Le nombre médian de lignes de chimiothérapie était 2, de 1 à 4 lignes avec 78% des patients ayant reçu un inhibiteur du protéasome. La médiane du NT-proBNP était de 1189 ng/l (699-3964). Sur les 8 patients qui étaient évaluables pour la réponse cardiaque avec le NT-proBNP 6 ont répondu avec une baisse de plus de 30% et 4 des 7 patients avec une atteinte rénale du taux sérique de NT-proBNP ont eu une réponse rénale avec plus de 50% de baisse de la protéinurie. Les réponses étaient rapides avec une médiane de 3 semaines pour obtenir une réponse d’organe. La médiane de strain chez les 10 patients avec une atteinte cardiaque était de -15,58 ± 4,14 % contre -22,77% ± 3,12% chez les patients sans atteinte cardiaque. Le strain s’est amélioré significativement chez 9 des 10 patients traités, mesuré à -17,37% ± 3,53% (p=0,004) après 12 semaines (figure 2). Le coefficient de corrélation de Pearson entre la réponse mesurée sur le NT-proBNP et celle mesurée sur le strain était de 0,345. La conclusion est que cet anticorps induit des réponses d’organe rapide chez les patients avec une amylose AL et qu’il existe une bonne corrélation entre l’amélioration du strain et la baisse du NT-proBNP suggérant que le strain pouvait être un marqueur précoce de réponse cardiaque.

Figure 2 : évolution du strain longitudinal (du fait de la valeur négative du strain une diminution correspond à une amélioration).

Figure 2 : évolution du strain longitudinal (du fait de la valeur négative du strain une diminution correspond à une amélioration).

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Aucun impact immédiat de cet étude puisque cet anticorps n’est pas disponible mais elle incite à participer aux futures études randomisées qui devraient démarrer sur le modèle des deux études très bien menées avec le NEOD001 et malheureusement négatives.
Un papier tout récent de l’équipe ayant produit cet anticorps montrant l’intérêt d’injecter avant l’anticorps un peptide bidirectionnel capable de se fixer aux dépôts d’amylose et d’être reconnu par l’anticorps laisse quand même un peu dubitatif sur le succès de ces études, les auteurs précisant, pour justifier l’adjonction de ce peptide, que l’anticorps ne se fixait sur les dépôts que chez 65% des patients sans fixation au niveau du coeur et des reins(7). Cette étude souligne également l’intérêt d’étudier le strain longitudinal chez les patients avec une amylose AL cardiaque, le strain devrait être fait en routine lors des échographies cardiaques pour amylose.
■ Références

  1.  Gertz MA, Landau H, Comenzo RL et al. First-in-Human Phase I/II Study of NEOD001 in Patients With Light Chain Amyloidosis and Persistent Organ Dysfunction. J Clin Oncol. 2016 Apr 1;34(10):1097-103.
  2. Bodin K, Ellmerich S, Kahan MC, et al . Antibodies to human serum amyloid P component eliminate visceral amyloid deposits. Nature. 2010 Nov 4;468(7320):93-7.
  3. Richards DB, Cookson LM, Berges AC, et al. Therapeutic Clearance of Amyloid by Antibodies to Serum Amyloid P Component. N Engl J Med. 2015 Sep 17;373(12):1106-14.
  4. Wall JS, Kennel SJ, Stuckey AC et al. Radioimmunodetection of amyloid deposits inpatients with AL amyloidosis. Blood. 2010 Sep 30;116(13):2241-4.
  5. Solomon A, Weiss DT, Wall JS. Immunotherapy in systemic primary (AL) amyloidosis using amyloid-reactive monoclonal antibodies. Cancer Biother Radiopharm. 2003 Dec;18(6):853-60.
  6. Edwards CV, Gould J, Langer AL et al. Interim analysis of the phase 1a/b study of chimeric fibril-reactive monoclonal antibody 11-1F4 in patients with AL amyloidosis. Amyloid. 2017 Mar;24(sup1):58-59.
  7. Wall JS, Williams AD, Foster JS et al. Bifunctional amyloid-reactive peptide promotes binding of antibody 11-1F4 to diverse amyloid types and enhances therapeutic efficacy. Proc Natl Acad Sci USA. 2018 Nov 13;115(46):E10839-E10848.

Critique méthodologique

Que faire de 10 patients ? … C’est un peu la question qui se pose devant cette étude. Dans le cas des études sur de très petits effectifs, le risque principal est le risque de deuxième espèce c’est-à-dire de ne trouver aucune différence significative alors qu’elle existe réellement. Dit autrement, la puissance de ces tests est très faible et un résultat non significatif n’est pas très informatif. L’amélioration de la fonction cardiaque 12 semaines après le début du traitement évalué par le Strain était pourtant significative. Cela s’explique par une différence importante avant et après traitement, et, sur le plan statistique par le fait que les auteurs ont utilisé un test apparié (paired student t test). Les tests appariés prennent en compte la corrélation qui existent entre les individus des deux groupes, corrélation évidente ici puisque l’on compare les mêmes patients avant traitement et après 3 semaines. Prendre en compte la corrélation, qui revient à ajouter de l’information par rapport aux seules valeurs observées de Strain, augmente la puissance du test, ce qui est d’autant plus important que l’effectif est réduit. Il est important de garder en mémoire que le risque alpha est indépendant de la taille d’échantillon : un résultat significatif n’a pas plus de chance d’être une erreur de type 1; c’est-à-dire une différence observée qui ne correspond pas à une différence réelle mais à des fluctuations d’échantillonnage, que le test ait été fait sur 10 patients ou sur 10 000. L’analyse de la corrélation est moins concluante. Le coefficient de corrélation de Pearson, compris entre -1 et 1, quantifie à quel point deux variables quantitatives sont liées linéairement. Un coefficient de 1 indique une corrélation parfaite (la représentation de y=l’évolution du Strain en fonction de x=l’évolution du NT-proBNP montrerait une droite), un coefficient de 0 indique l’indépendance entre les deux mesures (la même représentation serait un nuage de point), et un coefficient de -1 une corrélation inverse parfaite (une amélioration du Strain serait associée à une aggravation du NT-proBNP). Ce coefficient fait l’hypothèse que les deux variables sont distribuées normalement; il existe une version non paramétrique, qui ne nécessite pas de telles hypothèses, appelée coefficient de corrélation de Spearman. Une corrélation de 0,35 est modérée et surtout, évaluée sur 8 patients seulement, cette estimation doit être très imprécise : les auteurs auraient dû donner son intervalle de confiance pour que l’on puisse se faire une idée de cette (im)précision.

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