Peut-on sauver les cœurs graves dans l’amylose AL ?

Publié le : 5 janvier 2024
,

Un bénéfice de survie du birtamimab chez les patients avec Amylose AL stade IV de la Mayo dans l’essai de phase 3 VITAL concordant après ajustement pour des variables clés au diagnostic.

Survival Benefit of Birtamimab in Mayo Stage IV AL Amyloidosis in the phase 3 VITAL Study Consistent after adjustment for Key Baseline Variables.

D’après la communication orale de Morie A. Gertz et al. Abstract #760, ASH 2022.

 

Efficacité et tolérance du daratumumab en monothérapie chez les patients avec amylose à chaines légères stade 3B : une étude de phase 2 par le réseau européen du myélome.

Efficacy and Safety of Daratumumab Monotherapy in Newly Diagnosed Patients with Stage 3B light chain amyloidosis: a phase 2 study by the European Myeloma Network.

D’après la communication orale de Efstathios Kastritis et al. Abstract #761, ASH 2022.

 

Contexte des études

Le diagnostic d’Amylose AL est toujours difficile et de nombreux patients se présentent encore avec une atteinte cardiaque grave voire gravissime (stades IIIa/b ou IV des classifications de la Mayo Clinic(1,2). La mortalité de ces patients est élevée, en médiane inférieure à 6 mois. Par ailleurs, ces patients sont quasi toujours exclus des essais thérapeutiques, y compris dans l’essai ANDROMEDA(3) qui a validé la place en première ligne de traitement du daratumumab en association avec le VCD ou CyBorD des anglosaxons. Il faut donc « designer » des essais spécifiques pour ces patients en tenant compte de leur extrême fragilité. 

L’espoir se porte sur le daratumumab plus ou moins chimiothérapie et les anticorps ciblant les dépôts et/ou les fibrilles amyloïdes : le birtamimab(4) et le CAEL-101(5).

Des essais de phase 3 ont été et sont en cours avec ces thérapies ciblées.

Le birtamimab est une IgG1 humanisée qui se fixe directement à un épitope conservé à la fois sur les chaînes légères kappa et lambdas. L’étude de phase 3 VITAL du birtamimab en association au meilleur traitement dans l’Amylose AL, quel que soit le stade, a été interrompue prématurément du fait d’une analyse de futilité, basée sur 103 événements, favorable au NEOD001 mais non statistiquement significative (HR 0.84, IC à 95 % 0.57-1.204, p = 0.386) .

M. Gertz rapporte ici les données post-hoc chez les patients avec une atteinte cardiaque potentiellement sévère, stade IV (dFLC ≥ 180mg/L, cTnT ≥ 0.025 ng/mL, et NT-ProBNP ≥ 1,800 pg/mL).

Objectifs de l’étude

Étudier la survie globale dans une étude post hoc de l’essai VITAL chez les patients avec Amylose AL stade 4 de la classification de la Mayo Clinic.

Résultats de l’étude

Parmi les 260 patients inclus dans l’essai VITAL, 77 étaient de stade IV. La randomisation était a priori bien balancée et 38 patients ont reçu le birtamimab meilleur traitement (vs. placebo + meilleur traitement).

Les 2 groupes étaient superposables avec un âge médian de 63.6 ans, autant de minorités dans chaque bras.

Dans cette étude post-hoc, au mois 9, 74% des patients recevant le birtamimab étaient en vie vs. 49% dans le bras placebo soit un HR à 0.413 (IC 95% :
0.191-0.895). On notera que les courbes (figure 1) se séparent dès le 1er mois ce qui semble très étonnant ;
l’amélioration dans cette maladie étant d’abord liée à la réponse hématologique et à l’arrêt de production des chaines légères amyloïdogènes. Après ajustement aux caractéristiques de base des patients, les HR ajustées s’étendaient de 0.336 à 0.465 (? IC90%).

Figure 1 : survie globale pour les patients stade IV de la Mayo Clinic (analyse post-hoc).

L’analyse des toxicités étant potentiellement plus « fiable », on notera très peu d’effets indésirables liés à cet anticorps avec un excès modeste de constipation, nausées et dyspnée. Il n’y avait que <4% de réactions liées à la perfusion (2.3% dans le bras placebo !).

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Les données du NEOD semblent toujours peu convaincantes même si M. Gertz est très engagé. L’essai de phase 3 AFFIRM-AL est en cours uniquement chez ces mêmes patients en association avec le DARA-VCD.

Deux essais avec le CAEL-101 sont en cours avec le même socle de traitement par DARA-VCD.

De façon plus classique et plus objective, S. Kastritis rapporte une étude européenne d’efficacité et de tolérance du daratumumab en monothérapie dédiée aux patients les plus graves avec une atteinte cardiaque avancée (stade IIIb). 

À ce jour, 39 des 40 patients prévus ont été inclus dans 5 pays dont 2 centres en France (H. Mondor, Toulouse). Les caractéristiques des patients étaient classiques pour cette population fragile et altérée. Les résultats de 31 patients ont été présentés :
7 sont toujours en traitement, 4 ont terminé le traitement per protocole et 20 ont arrêté principalement pour décès (n=9) ou progression (n=6).

Au total, les patients ont reçu en médiane 17 injections de DARA sur une durée médiane de 6.7 mois. Huit patients ont reçu après 3 cycles de DARA du bortézomib en association.

Le suivi médian pour ces patients est de 8.5 mois.

La survie globale à 6 mois est de 64.5% et de 47.1% à 12 mois (figure 2). Au niveau hématologique, les réponses sont rapides comme attendu avec le DARA, dès la première semaine pour l’obtention d’une réponse partielle. Une VGPR ou mieux est obtenue en médiane en moins de 2 cycles.

Figure 2 : survie globale pour les patients stade 3B de la Mayo Clinic.

À 6 mois, 74% des patients sont répondeurs dont 13% de RC et 35.5% de VGPR.

Des réponses d’organes peuvent ainsi être observées dès 3 mois pour 1/4 des patients.

Les effets indésirables étaient ceux attendus avec le DARA mais 12 ont été de grade 5 du fait de l’extrême fragilité des patients (EIGs cardiaques et infectieux).

En conclusion, dans cette population de haut risque, le daratumumab en monothérapie a démontré une efficacité manifeste avec des taux de réponse hématologiques permettant des réponse cardiaques et l’amélioration de la survie sans toxicité surajouté. Le taux de mortalité précoce est réduit et la médiane dépasse actuellement 10 mois chez ces patients ce qui dénote enfin un tournant pour ces patients.

Critique méthodologique

Il s’agit d’une analyse post-hoc d’un essai randomisé. Parmi les inconvénients de cette analyse (voir le focus statistique sur les analyses post-hoc), le point principal ici est la comparabilité des groupes. En effet, l’analyse porte sur le stade IV des classifications de la Mayo Clinic, or la randomisation a été stratifiée entre autres sur les stades de la Mayo I/II vs. III/IV. 

Le stade IV n’est donc pas une strate à proprement dit et la réalisation d’une analyse dans ce sous-groupe ne semble pas avoir été planifiée dans le protocole. 

Le risque de surinterpréter ces résultats est alors très important. En effet, même si les deux groupes de traitements semblent globalement équilibrés sur les caractéristiques initiales, on peut noter des légères différences en faveur du bras birtamimab sur le délai depuis le diagnostic et le nombre d’organes touchés. 

Les auteurs ont tout de même réalisé des analyses ajustées sur chacune des caractéristiques initiales, ce qui n’est pas suffisant puisque l’effectif total et le nombre de décès permettaient d’ajuster sur deux voire trois caractéristiques initiales. À noter, l’absence du nombre d’organes touchés dans les résultats ajustés. 

Enfin, il est étonnant de constater que l’analyse multivariée présente des hazard ratios avec des intervalles de confiance à 90% alors que l’analyse univariée, les estimations sont à 95%. 

La deuxième étude de S. Kastritis portant sur le daratumumab est une phase 2 monobras. Ce type d’étude a pour objectif d’évaluer l’efficacité directe et également l’innocuité d’une molécule. 

Les auteurs ont choisi la survie globale en tant que critère de jugement principal et le taux de réponse globale en critère secondaire, ce qui n’est pas commun aux études de phase 2. La survie globale est plutôt utilisée dans les essais de phase 3. 

Il est regrettable de constater l’absence d’hypothèse statistique dans cette étude car même s’il n’y a pas de groupe comparateur, les études de phase 2 non randomisées doivent comporter une règle de décision pour conclure à l’efficacité ou non du traitement.

 

Références 

  1. Dispenzieri A, Gertz MA, Kyle RA, Lacy MQ, Burritt MF, Therneau TM, et al. Serum cardiac troponins and N-terminal pro-brain natriuretic peptide: a staging system for primary systemic amyloidosis. J Clin Oncol Off J Am Soc Clin Oncol. 15 sept 2004;22(18):3751‑7. 
  2. Kumar S, Dispenzieri A, Lacy MQ, Hayman SR, Buadi FK, Colby C, et al. Revised Prognostic Staging System for Light Chain Amyloidosis Incorporating Cardiac Biomarkers and Serum Free Light Chain Measurements. J Clin Oncol. 20 mars 2012;30(9):989‑95. 
  3. Kastritis E, Palladini G, Minnema MC, Wechalekar AD, Jaccard A, Lee HC, et al. Daratumumab-Based Treatment for Immunoglobulin Light-Chain Amyloidosis. N Engl J Med. 1 juill 2021;385(1):46‑58. 
  4. Gertz MA, Landau H, Comenzo RL, Seldin D, Weiss B, Zonder J, et al. First-in-Human Phase I/II Study of NEOD001 in Patients With Light Chain Amyloidosis and Persistent Organ Dysfunction. J Clin Oncol Off J Am Soc Clin Oncol. 1 avr 2016;34(10):1097‑103. 
  5. Edwards CV, Rao N, Bhutani D, Mapara M, Radhakrishnan J, Shames S, et al. Phase 1a/b study of monoclonal antibody CAEL-101 (11-1F4) in patients with AL amyloidosis. Blood. 23 déc 2021;138(25):2632‑41. 

 

Auteurs/autrices

Laisser un commentaire