Le Burkitt au CODOX, toute une EPOCH

Publié le : 19 octobre 2022Tags:

Résultats de l’essai prospectif randomisé des lymphomes de Burkitt de haut risque évaluant les traitements R-CODOX-M/R-IVAC versus EPOCH-R-Modulé.

R-CODOX-M/R-IVAC versus dose-adjusted(da)- EPOCH-R-in patients with newly diagnosed high-risk burkitt lymphoma; first results of a multi-center randomized hovon/sakk trial.

D’après la communication orale de M Chamuleau et al. Abstract #LB2370, EHA 2022.

Contexte de l’étude

Enfin un essai purement « académique », rafraîchissant, avec des figures Excel non designées par des sociétés de communications, malheureusement clos prématurément ! Dans le lymphome de Burkitt la dose-intensité fait partie des fondamentaux du traitement, avec la prophylaxie neuro- méningée (schémas LMB, CODOX-M/IVAC). Plusieurs données favorables ont avancé la possibilité d’un traitement par R-DA-EPOCH, a priori moins intensif (Roschewski, JCO 2020) et qui permettrait un bon contrôle tumoral à long terme. L’intergroupe HOVON/SAKK est parti à l’assaut de cette question dans les lymphomes de Burkitt de haut risque, mais est resté seul le glaive au clair, raison probable de la fermeture prématurée de l’essai en panne d’inclusion.

Objectif de l’étude

L’essai s’est attaché à démontrer la supériorité du bras R-DA-EPOCH [B] (SSP à 2 ans de 70% à 85%), par rapport au R-CODOX-M/IVAC [A]. Pour une puissance de 80%, une inclusion de 250 patients était prévue, sur 10 ans.
Les critères d’inclusion étaient proches d’une vie réelle : 18 à 75 ans, cas sporadiques ou associés au VIH, sans atteinte neuroméningée, et avec des critères de haut risque : LDH élevés, PS>2, stade III/IV ou masse tumorale >10cm. Le traitement par R-CODOX/IVAC comprenait 2 cycles de chaque chimiothérapie, avec hospitalisation systématique (~16 semaines de durée totale de traitement), tandis que le traitement par R-DA-EPOCH pouvait potentiellement être externalisé (6 cycles, ~18 semaines de traitement). Les deux groupes recevaient 8 injections intrathécales (4MTX,4CYTA), bien entendu le groupe A recevait en plus les MTX fortement dosés (figure 1).

Figure 1 : schémas des traitements A (“CODOX”) et B (“DA EPOCH”).

Résultats de l’étude

Avec un suivi médian de 19 mois et 89 patients inclus en 7 ans, l’étude a été clôturée. Les données présentées comprennent tous les patients inclus, dont des erreurs histologiques (15% ne sont pas des lymphomes de Burkitt !). Les données de dose intensité du bras A montrent que plus de 90% des cycles ont été réalisés à doses pleines, pour toutes les drogues (le minimum étant pour la vincristine). De même, 46% des patients du bras B ont pu monter jusqu’à des niveaux de doses 3 ou 4. D’un point de vue de l’efficacité, il est difficile de donner des résultats fiables avec 33 et 37 patients évaluables dans chaque bras de traitement [A et B] : pas de différence manifeste en termes de réponse métabolique complète (~66%), de même pour les SSP et la SG. En termes de toxicité, comme attendu, le R-DA-EPOCH-R est associé avec moins de complications infectieuses, et de support transfusionnel (figure 2).

Figure 2 : survie sans progression.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

On peut louer les efforts d’avoir mené un essai ambitieux dans une population difficile (inclusion de patients avec des PS>2 pour 10% des patients, agressivité). Les résultats sont à interpréter avec beaucoup de réserves, en particulier les données d’efficacité. De façon assez inattendue, le CODOX-M/IVAC n’a pas été associé avec une toxicité démesurée dans cette population fragile, en comparaison au R-DA-EPOCH. Les données de rechute/évolution dans le système nerveux central ne sont pas connues pour le moment mais semblent faibles, illustrant probablement que le contrôle tumoral extra-SNC est le principal support de la prévention de la rechute cérébro-méningée.

Critique méthodologique

Cet essai clinique très ambitieux de phase 3 cherchait à évaluer la supériorité du bras R-DA-EPOCH par rapport à CODOX-M/IVAC sur le critère principal de survie sans progression (SSP) à 2 ans, avec des probabilités de survie attendues à 85% et 70% respectivement. Avec la puissance minimum requise (80%) et un risque alpha bilatéral de 5% (et non pas unilatéral comme on pourrait s’y attendre), il était convenu que 250 patients à haut-risque soient inclus sur 10 ans, soit 25 inclusions par an en moyenne, ce qui semblait crédible. En critères secondaires, étaient sélectionnés les endpoints suivants :
l’overall response rate (ORR) à 2 ans et la survie globale à 2 ans. Certains événements indésirables graves et la durée d’hospitalisation (évalués par le nombre de nuits d’hospitalisation), étaient utiles aussi pour l’intérêt logistique et financier. La comparaison des caractéristiques des patients entre les 2 bras donnait des résultats similaires, indiquant le bon fonctionnement de la randomisation de cet essai. Cependant seulement 84 patients (43 dans le bras CODOX vs. 41 dans le bras R-DA-EPOCH) ont été analysés au bout de sept longues années ! Ce n’est, hélas, que 33,6% de l’effectif initial prévu par l’hypothèse de départ. Excès d’optimisme ? En théorie, un re-calcul du seuil de p-value à la baisse aurait été nécessaire pour attester de la significativité ou non des résultats ;
en pratique, rien n’a été fait sur ce point crucial. De plus on ignore totalement si les critères secondaires sont à visée exploratoire ou bien hiérarchisés. Cependant, au vu du   déroulement de l’essai, il vaudrait mieux être prudent et les conserver comme purement exploratoires. Le résultat sur la SSP sur la cohorte analysée ne donne rien de significatif ; les probabilités à 2 ans sont équivalentes (autour des 75%) d’après la courbe de Kaplan-Meier, loin des attentes formulées au stade embryonnaire de l’essai qui voyait 15 points de plus pour R-DA-EPOCH. La survie globale et l’ORR étaient aussi comparables.

Les auteurs misent dès lors sur le fait que le nombre de certains événements indésirables graves (sAE) sont significativement moindres dans le bras EPOCH. Cependant, au regard de la taille de l’échantillon et du nombre d’événements, cette significativité avancée manque cruellement de robustesse. Il convient donc de rester prudent sur ces conclusions. De plus le nombre total de sAE était similaires entre les deux bras, de même que le nombre de patients concernés (un peu moins de la moitié pour chaque bras). De plus, les patients du bras EPOCH avaient des taux d’hémoglobine et plaquettaire inférieurs au bras CODOX (les tests étaient là aussi significatifs avec des p-values < 0,01). Le nombre de nuits d’hospitalisation était aussi heureusement inférieur dans le bras EPOCH, cependant, l’essai n’étant, semble-t-il, pas en double aveugle, le résultat à moins de valeur qu’annoncé. Dans l’ensemble, ces résultats secondaires sont bien fragiles.

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