Peut-on abandonner la dexaméthasone chez les sujets âgés fragiles avec myélome de novo ?

Publié le : 2 janvier 2024
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Daratumumab et lénalidomide sans dexaméthasone chez les patients fragiles avec myélome nouvellement diagnostiqué : analyse d’efficacité et de tolérance de l’essai de phase 3, IFM 2017-03.

A Dexamethasone Sparing-Regimen with Daratumumab and Lenalidomide in Frail Patients with newly-diagnosed multiple myeloma: Efficacy and Safety Analysis of the Phase 3 IFM 2017-03 trial.

D ‘après la communication orale de Salomon Manier et al. Abstract #569, ASH 2022.

Contexte de l’étude

Tous les schémas à l’étude dans le myélome multiple comprennent une corticothérapie à plus ou moins fortes doses et V. Rajkumar avait été le premier à alléger les traitements en abandonnant les blocs de 4 jours de dexaméthasone et en proposant des schémas hebdomadaires(1). Par ailleurs, nous savons que les doses sont à adapter à l’âge et aux comorbidités des patients et que la plupart des toxicités sont liées à la dexaméthasone. L’équipe italienne avait déjà rapporté un abandon de la dexaméthasone après 9 cycles avec le standard de l’époque lénalidomide et dexaméthasone(2). L’essai Français IFM 2017-03 propose l’abandon de la
dexaméthasone dès 2 cycles en contexte de traitement actuellement de référence par daratumumab et lénalidomide(3).

Objectifs de l’étude

Dans cet essai de phase 3 randomisé en ouvert, les patients de novo étaient sélectionnés sur l’âge > 65 ans, et un score de fragilité ≥2. L’objectif principal était la PFS. S. Manier a rapporté pour l’IFM, dans une analyse intermédiaire à 12 mois de traitement, les taux de réponse globale, de VGPR ou mieux, de MRD et les toxicités de grade 3 ou plus.

Résultats de l’étude

Au total, 295 patients ont été randomisés et 293 traités : 199 dans le brasdaratumumab-lénalidomide (DR) et 99 dans le bras lénalidomide dexaméthasone (Rd). Trois patients n’ont finalement pas reçu le traitement alloué. Les caractéristiques des patients étaient globalement identiques avec une médiane d’âge de 81 ans, les plus vieux patients inclus dans chaque cohorte ayant respectivement 92 et 90 ans ! Le score de fragilité était, comme requis pour l’inclusion ≥2 avec 72% ≥3 dans le bras DR vs. 64% dans le bras Rd. La majorité des patients avait un ISS II et un risque cytogénétique standard. À noter, 17 % étaient considérés de HR dans le bras DR (del17p=9%) vs. 22% dans le bras Rd (del17p=14%). La fonction rénale était altérée (< 60 ml/min) pour 61 à 56% d’entre eux. À la date de point, 134 patients du bras DR ont poursuivi après 12 mois et 51 dans le bras Rd soit un taux d’arrêt de 32% dans le bras expérimental (8 décès, 27 EIs et 4 sorties) vs. 45% dans le bras contrôle (2 décès, 15 EIs). 

En termes de réponses globales (figures 1&2), l’avantage du daratumumab plus lénalidomide se maintient même en absence de dexaméthasone au C3 avec 96 % de patients répondeurs vs. 85% pour le Rd et des taux de VGPR ou mieux de 64% vs. 43% respectivement (p=0.001). Des taux de réponse plus « profonds » sont obtenus avec le DR à tous les points d‘évaluation, même précocement. Les réponses se complètent graduellement avec 20-25% de RC à 12 mois dans les 2 bras mais plus de VGPR dans le bras DR. En termes de toxicités de grade 3 ou plus, l’arrêt précoce de la dexaméthasone n’a pas diminué le nombre d’EIs avec respectivement 82% vs. 68% d’évènements, majoritairement en rapport avec des cytopénies plus marquées dans le bras DR (55% d’EIs hématologiques vs. 26%), avec cependant une diminution (non significative) des toxicités infectieuses (13% vs. 18%). 

Figure 1 : schéma de l’étude.

Figure 2 : taux de meilleure réponse et VGPR ou mieux en fonction du temps.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Il s’agit de la première étude randomisée de phase 3 de l’IFM dédiée aux sujets fragiles. L’épargne cortisonée dès C3 n’a pas diminué les taux ni les profondeurs de réponses attendues avec l’association DR. Dix% des patients ont même obtenus une MRD indétectable. Malgré des toxicités hématologiques de grade 3/4 plus importantes avec le DR, les risques d’infection étaient similaires et il n’y a pas eu plus d’arrêt prématurés des traitements. L’analyse de la survie est en cours.

Critique méthodologique

Il s’agit d’un essai randomisé de phase 3. L’objectif principal est de démontrer une meilleure survie sans progression pour le bras daratumumab et lénalidomide. S.Manier présente les résultats dits : « intermédiaires » portant sur des critères secondaires issus de l’évaluation de la réponse à 12 mois. En réalité il s’agit de résultats préliminaires plutôt qu’une analyse intermédiaire puisque l’ensemble des patients a été inclus et que l’analyse porte sur des données précoces (évaluation à 84 mois prévue dans le protocole). D’un point de vue méthodologique, l’essai semble bien construit même si la composition du bras contrôle est questionnable. Ces premiers résultats sur la réponse au traitement sont encourageants mais demandent une confirmation à long terme comme prévu dans le protocole ainsi que l’analyse des données de survie dont la survie sans progression est le critère principal.

Un petit mot concernant les caractéristiques initiales, elles sont assez bien équilibrées entre les deux bras. À noter qu’aucun test statistique n’a été utilisé pour comparer ces caractéristiques, à juste titre. En effet et contrairement à que nous pouvons voir dans certains essais randomisés, la réalisation de test de comparaison pour démontrer une différence significative ou non des données à l’inclusion entre les bras n’a strictement aucun sens. Pour rappel, une différence statistiquement significative veut dire que la probabilité que ce résultat soit dû au hasard est inférieure à 0.05, or si parfois il y a un déséquilibre à l’inclusion c’est justement à cause de la randomisation et donc 100% dû au hasard. Toutefois, rien n’empêche de constater un éventuel déséquilibre et de prendre en compte les caractéristiques concernées dans une analyse multivariée.

Références

  1. Rajkumar SV, Jacobus S, Callander NS, Fonseca R, Vesole DH, Williams ME, and al. Lenalidomide plus high-dose dexamethasone versus lenalidomide plus low-dose dexamethasone as initial therapy for newly diagnosed multiple myeloma: an open-label randomised controlled trial. 20091021e éd. Vol. 11, Lancet Oncol. 2010. p. 29‑37. 
  2. Larocca A, Bonello F, Gaidano G, D’Agostino M, Offidani M, Cascavilla N, and al. Dose/schedule-adjusted Rd-R vs continuous Rd for elderly, intermediate-fit patients with newly diagnosed multiple myeloma. Vol. 137, Blood. 2021. p. 3027‑36. 
  3. Facon T, Kumar S, Plesner T, Orlowski RZ, Moreau P, Bahlis N, and al. Daratumumab plus Lenalidomide and Dexamethasone for Untreated Myeloma. N Engl J Med. 30 mai 2019;380(22):2104‑15. 

 

 

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