Actualités sur les Leucémies aiguës à l’ASH 2022

Publié le : 2 janvier 2024

Ce fut un plaisir de retrouver l’ASH 2022, en présentiel pour certains, en distantiel pour les autres. Encore une fois, un nombre impressionnant de communications, abstracts, ou posters ont été présentés. Dans le domaine des leucémies aiguës, la progression est constante sur le plan biologique avec le perfectionnement de sous-groupes moléculaires de pronostiques différents mais également clinique avec l’apport de nouvelles molécules pour ces sous-groupes, de l’immunothérapie et enfin le développement de CAR T cells pour les pathologies myéloïdes.

Comment améliorer le devenir des patients atteints de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) ?

L’apport des nouvelles thérapies (hors CAR T cells), telles que l’inotuzumab ozogamycin et le blinatumomab il y a quelques années, est un point important de l’amélioration des traitements. Les combinaisons en induction et consolidation se développent afin d’améliorer la tolérance notamment chez les sujets âgés et aussi d’améliorer le pourcentage de maladie résiduelle (MRD) indétectable dont l’impact pronostic est largement démontré.

Il faut citer à nouveau le MDACC avec leur étude de phase 2 dans la LAL Ph+ de l’adulte nouvellement diagnostiquée recevant l’association
blinatumomab et ponatinib (#213). L’objectif principal était le taux de réponse moléculaire complète (RMC). L’auteur a présenté les 40 patients adultes ayant reçu en première intention blinatumomab (5 cycles au total) et ponatinib (30 mg en induction puis 15 mg en consolidation si RMC atteinte puis entretien 15 mg par jour pendant 5 ans). Le taux de rémission complète (RC+RCi) est de 96% avec 97% de réponse moléculaire majeure (RMM), 87% de RMC dont 68% après 1 seul cycle, avec un seul décès à l’induction (3%). Les réponses au traitement sont très rapides dès J8. Avec une médiane de suivi courte de 18 mois (6-52), les courbes de survie globale et sans évènement sont quand même impressionnantes (figure 1). Un seul patient a été allogreffé en raison d’un BCR-ABL >0.01% persistant.

Figure 1 : survie sans événement et survie globale des patients traités par ponatinib et blinatumomab frontline.

Pour les LAL Ph-, de l’adulte, les protocoles d’inspiration pédiatrique ont confirmé le rôle pronostic de la MRD Ig/TCR et le rôle de l’allogreffe pour les patients MRD+. Les objectifs sont désormais d’améliorer le nombre de patient en MRD négative afin d’éviter d’allogreffer certains patients. Dans l’essai GRAALL 2014 débuté en 2015, une sous étude a démarré en 2018 incorporant le blinatumomab précocément en consolidation pour les patients de haut risque (réarrangement KMT2A, IKZF1 délétion et/ou MRD1 >10-4) avec pour rationnel les résultats de l’étude BLAST publiée en 2020 (#211). Les patients ont reçu 5 cycles de blinatumomab (2 au cours des blocs de consolidation et 3 au cours de la maintenance). Les patients de très haut risque (VHR défini par MRD1>10-3 et/ou MRD2 >10-4) étaient éligibles à l’allogreffe et recevaient du blinatumomab jusqu’à la greffe. Au total, 94 patients ont été inclus dans cette étude et ont été comparés aux patients ayant les mêmes critères d’inclusion entre 2015 et 2018 (n=104) avant l’ouverture de la sous étude QUEST. Les taux de MRD3 indétectable ont été significativement meilleurs chez les patients traités par blinatumomab, avec une réduction du risque de rechute de 52% avec amélioration de la survie sans rechute mais pas d’amélioration de la survie globale. Dans les analyses de sous-groupe, le bénéfice du blinatumomab a été particulièrement important chez les patients avec une MRD2<10-4 ce qui rejoint la présentation de l’essai ECOG-ACRIN E1910 en Late Breaking session (#LBA-1).

L’inotuzumab a été utilisé en première intention (3 cycles d’induction) avant une chimiothérapie plus classique pour des patients de 55 ans ou plus atteints de LAL de la lignée B (n=43). Les taux de rémission après 2 cycles sont de 100% avec une survie estimée à 2 ans de 81% (#212).

Dans la population des enfants et jeunes adultes, la deuxième randomisation d’une étude de phase 3 (UKALL 2011, #214) a été présentée. Dans cette R2, le méthotrexate forte dose (MTX-HD sans intrathécale) a été comparé à une maintenance standard (avec intrathécale) avec également une randomisation des réinductions de vincristine et dexaméthasone
pulses » versus « no pulses ») avec comme critère principal de jugement l’EFS. Au total, 1 570 patients ont été randomisés : 783 en maintenance standard vs. 787 MTX-HD et 784 (pulses) vs. 786 (no pulses). En conclusion de cette étude, le MTX-HD ne diminue pas les rechutes neuro-méningée, mais réduit les rechutes médullaires des patients traités à l’induction par des doses standard de dexaméthasone avec impact sur l’EFS et l’OS au prix d’une toxicité rénale accrue (insuffisance rénale aigue grade 3/4 de 1.7% contre 0.1%). L’omission des « pulses » de vincristine/dexa diminue les neutropénies fébriles de plus de 10% sans augmenter les rechutes médullaires.

Dans le domaine des ADC (anticorps drogue conjugué), une étude phase 1 a montré les résultats du ADCT-602 (Ac anti CD22 couplé au SG3199 une pyrrolobenzodiazépine) dans les LAL B en rechute ou réfractaire (#216). Des réponses dont 4 MRD négatives sont observées chez 5 des 24 patients lourdement pré-traités.

Enfin, il faut évoquer les CAR T cells ciblant le CD22 (#982) à travers cette étude de phase 1b réalisée chez 18 patients atteints d’une LAL en rechute ou réfractaire, dont 50% réfractaire au CAR T cells (CD19). Les taux de réponses (RC + RCi) de 75% sont encourageants (56% de MRD négative en cytométrie de flux) avec une survie à 1 an de 50% pour une population de très mauvais pronostic.

Les enjeux de traitement dans la leucémie aiguë myéloblastique (LAM) ?

Bien qu’on soit à l’heure de nombreux nouveaux traitements, qui ont bouleversé la prise en charge des LAM en 2022, des questions demeurent sur les chimiothérapies conventionnelles intensives. 

Un vieux débat sur l’induction simple ou double et la meilleure dose de daunorubicine 60 ou 90 a été présenté en session orale à l’ère d’une meilleure catégorisation des sous-groupes biologiques : la réponse est dans cet essai de phase 3 randomisée (#217, Rollig C). Les patients de 18-65 ans sans comorbidités ont été randomisés sur la dose de daunorubicine (60 versus 90 mg/m2) puis en cas blastes à J15<5% entre un 2ème cycle ou non. Aucune différence de clairance des blastes à J15 n’avait été observé au moment de l’analyse intérimaire entre le bras Dauno90 et le bras Dauno60 ce qui a conduit à suspendre le bras 90mg/m2.
L’étude a inclus à la fin 864 patients sans différence entre les 2 groupes (réponse à J15/Rémission complète post induction). L’analyse de l’induction double montre une amélioration faible du taux de RC/RCi non significative sans effet sur la survie à long terme.

Des données de chimiothérapie intensive FLAG-IDA avec vénétoclax (AML1718, n=57) ont été présenté (#59) avec une comparaison indirecte à partir d’une cohorte du GIMENA AML1310 (n=445). Après appariement sur l’âge, le risque génétique, la greffe, le sexe pour atténuer les différences des 2 cohortes, les taux de RC sont supérieurs dans le bras avec vénétoclax (84 vs. 67%, p=0.019) tout comme la négativité de la MRD (74 vs. 47%, p=0.0009), avec une meilleure DFS (80 vs. 50% à 12 mois, 59.9 vs. 41.5% à 24 mois) mais pas de différence en survie globale.

Le gemtuzumab ozogamicine (GO) a une nouvelle fois fait parler de lui à plusieurs reprises. L’essai AML 19 (#218) a randomisé 1 475 patients atteints de LAM ou SMD-EB2 sans cytogénétique défavorable entre FLAG-IDA et daunorubicine cytarabine (DA) et 1031 patients ont été randomisés entre GO J1 ou GO J1/J4 (fractionné) sans GO en consolidation. L’essai ne montre pas de bénéfice au GO fractionné. L’analyse de sous-groupe montre un bénéfice du FLAG-IDA-GO sur DA-GO en termes d’EFS et OS (OS à 5 ans 64 vs. 54%) dans le sous-groupe FLT3 muté et dans le sous-groupe NPM1 muté (OS à 5 ans de 82 vs. 64%). Il faut citer aussi l’étude rétrospective montrant un avantage de survie dans le groupe de patients, avec LAM de novo de risque intermédiaire, traité par 7+3+GO vs. 7+3. Les non répondeurs au GO présentaient plus fréquemment des mutations de TET2 , DNMT3A, ASXL1 ou TP53 (#58).

Une mise à jour de l’étude VIALE-A (#219) avec un suivi plus long de 2 ans (médiane de suivi de 43 mois) a confirmé le bénéfice de survie des patients traités par azacitidine et vénétoclax (figure 2).

Figure 2 : survie globale des patients traités par azacitidine + placebo (vert) ou azacitidine + vénétoclax (courbe bleue).

Place aux triplettes avec la mise à jour de la phase 1/2 azacitidine+vénétoclax+gilteritinib (#831) pour les LAM Flt3 mutées avec 100% de RC+RCi en première ligne (n=27) et 70% en rechute ou réfractaire (n=20) avec seulement 3 rechutes pour le moment en frontline (OS estimé à 1 an de 85%). À voir lorsque l’effectif sera plus important ainsi qu’un suivi plus long.

La combinaison azacitidine vénétoclax et magrolimab a été présenté au travers d’une phase 1-2 avec notamment 43 patients en première intention avec LAM de très mauvais pronostic (91% ELN 2017 adverse) (#61). Les taux de réponse CR+CRi sont de 72%, 63% en cas de mutation de TP53, 88% si TP53 sauvage. La tolérance a été bonne avec toutefois 23% d’anémie de grade 3 ou plus (chute médiane d’hémoglobine de 1.2 g/dL).
En situation de rechute, la combinaison ne donne pas de bons résultats.

En session plénière, l’essai de phase 3 randomisé dans les LAM en rechute ou réfractaire a posé la question du timing de l’allogreffe et de la nécessité de refaire une chimiothérapie avant l’allogreffe (#4). Les patients de 18-75 ans ont été randomisés entre chimiothérapie de rattrapage (HAM) puis allogreffe ou allogreffe séquentielle d’emblée (FLAMSA-RIC ou HD-MEL+Flu/TBI). Dans le groupe réinduction, l’allogreffe a été effectuée en médiane au bout de 8 semaines (93% de greffe à 17 semaines) contre 4 semaines dans le groupe greffe d’emblée (97% de greffe à 16 semaines). Le critère principal (survie sans rechute à J56) était identique tout comme la survie globale mais les patients ont été moins longtemps hospitalisé en cas de greffe immédiate. 

L’étude de l’EORTC de phase 3 AML21 a comparé la qualité de vie des patients traités entre un bras décitabine et un bras chimiothérapie intensive avant une allogreffe chez les patients de plus de 60 ans (#535). La qualité de vie à 2 mois était significativement moins bonne chez les patients traités intensivement avec un retentissement également après allogreffe. Reste à voir si cela reste valable à l’ère de l’association aza+ven.

Dr Sylvain CHANTEPIE, Caen.

 

Auteur/autrice

  • Sylvain CHANTEPIE

    Hématologue, PH.
    Expertises : leucémies aigües et allogreffe.
    Liens d'intérêts au 01/01/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
    Correspondance : CHU de Caen.
    chantepie-s@chu-caen.fr

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