Le blinatumomab prend le contrôle

Publié le : 2 janvier 2024
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Un traitement de consolidation par blinatumomab prolonge la survie globale des patients adultes nouvellement diagnostiqués avec une leucémie aiguë lymphoblastique de la lignée B avec une rémission sous forme de maladie résiduelle négative : résultats de l’essai randomisé de phase III du réseau national coopératif des essais cliniques ECOG-ACRIN E1910.  

Consolidation Therapy with Blinatumomab Improves Overall Survival in Newly Diagnosed Adult Patients with B-Lineage Acute Lymphoblastic Leukemia in Measurable Residual Disease Negative Remission: Results from the ECOG-ACRIN E1910 Randomized Phase III National Cooperative Clinical Trials Network Trial.

D’après la communication orale de ML Litzow et al. Abstract #LBA-1, ASH 2022.

 

Contexte de l’étude 

Le blinatumomab est un anticorps bispécifique CD19/CD3 actuellement indiqué pour les LAL B en rechute ou avec maladie résiduelle (MRD) positive. Les schémas de traitement d’inspiration pédiatrique chez les adultes permettent l’obtention d’une rémission complète avec survie globale à 5 ans de 74.7% pour les LAL B de risque standard et 45.9% pour les haut risque(1). Le but reste de diminuer au maximum la MRD post induction pour améliorer les résultats à long terme et éviter l’allogreffe. La chimiothérapie E1910 (figure 1) consiste en un traitement d’induction type BFM modifié pendant 2.5 mois. Les patients en RC/RCi reçoivent une intensification de traitement agissant sur le système nerveux central (SNC) par MTX forte dose et pegasparaginase. Une évaluation de la MRD est faite puis les malades sont randomisés pour recevoir 4 cycles de chimiothérapie de consolidation +/- 4 cycles de blinatumomab et une maintenance par 2 ans et demi de traitement POMP.

Figure 1 : schéma de l’étude.

Objectifs de l’étude

L’objectif principal est de la survie globale chez les patients bon répondeurs (MRD-) recevant la consolidation+/- blinatumomab. La MRD était mesurée par cytométrie de flux 6 couleurs.

Résultats de l’étude

La population de l’étude est de 488 patients adultes de 30 à 70 ans, d’âge médian 51 ans. Les taux de RC/RCi sont de 81% (75% RC, 6% RCi). Un total de 286 patients a été randomisé (224 MRD-, 86 MRD+) en sachant que les malades MRD+ ont été à partir de 2018 assigné au bras consolidation avec blinatumomab (autorisation FDA pour le blinatumomab chez les MRD+). À la 3ème analyse intérimaire, l’essai a montré un bénéfice pour le traitement chez les patients avec MRD négative. La médiane de suivi était alors de 43 mois. Parmi les 224 patients randomisés, 22 patients on

Figure 2 : survie globale du groupe MRD- selon le traitement reçu.

t été allogreffé dans chaque bras. Quatre-vingt pourcent des patients ont reçu 2 cycles ou plus de blinatumomab.

La médiane de survie est de 71.4 mois dans le bras chimiothérapie et non atteinte dans le bras chimio+ blinatumomab (HR 0.42, IC95% : 0.24-0.75, p=0.003, figure 2). Les décès sont au nombre de 39 dans le bras chimio (20 liés à la LAL, 17 de mortalité liée au traitement, 2 inconnus) et 17 dans le bras blinatumomab (8 liés à la LAL et 9 de mortalité liée au traitement). La médiane de survie sans rechute est également non atteinte dans le bras blinatumomab et de 22.4 mois dans le bras chimiothérapie (HR 0.46, IC 95% : 0.27-0.78, p=0.004). Parmi les 86 patients MRD+ randomisés, la médiane de survie est de 22.4 mois et non atteinte dans le bras blinatumomab (HR 0.39, IC 95% : 0.14-1.10, p=0.066).

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Cette étude démontre un avantage de survie globale pour les patients adultes atteints de LAL-B traités en consolidation par chimiothérapie et blinatumomab, une réduction des décès et pas de toxicité supplémentaire. Cette étude est un tournant dans la prise en charge des LAL-B et le traitement par blinatumomab en consolidation est devenu le nouveau standard de traitement chez les patients bon répondeurs avec MRD négative. 

Critique méthodologique

Nous sommes donc dans un essai de phase 3 randomisé, qui devait inclure théoriquement 190 patients au total. Les hypothèses formulées pour le calcul du sample size étaient un risque alpha unilatéral de 2.5% et une puissance de 80%, pour un hazard-ratio prévu de 0.55 sur la survie globale sur les deux premières années (une baisse de 45% du risque était attendue). Au final, les patients MRD- inclus furent 224 (donnant une puissance meilleure), répartis équitablement entre les 2 bras chimio sans et avec blinatumomab. À noter que les patients étaient stratifiés selon le statut CD20, la prise de rituximab, l’âge (supérieur ou inférieur à 55 ans), le niveau de MRD et l’intention d’allogreffe. 

Outre les résultats explicités dans les précédents paragraphes, on retiendra que les courbes de survies sans rechute (RFS) ont des physionomies très semblables à celles de la survie globale, avec des probabilités assez proches également. Cette observation laisse penser que les taux de rechutes sont plutôt faibles dans les 2 bras. Le hazard-ratio estimé sur la survie est inférieur à celui prévu (0.55 pour rappel) sur l’ensemble du suivi en faveur du bras blinatumomab. Le point positif de l’ensemble de ces courbes est leur durée médiane relativement longue pour une (3e) analyse intermédiaire, certains patients avaient plus de 5 ans de suivi depuis la randomisation. On commence déjà à dépasser le moyen-termes. En revanche, un point négatif de cette présentation : il n’a pas été indiqué le seuil de significativité de la p-value pour cette analyse intérimaire. Effectivement, lorsqu’on séquence une étude en plusieurs parties, il convient de recalculer ce seuil à la baisse (qui était initialement de 2.5% si l’étude ne comprenait d’analyses intermédiaires) et le réindiquer, et ce pour chaque nouvelle analyse intermédiaire. Les résultats sont, malgré cet oubli, concluants d’après les auteurs.  

Face à ces résultats très importants, on est en droit d’être d’en attendre un peu plus. En effet, des analyses en sous-groupes (ou forest-plots), comme cela se fait de plus en plus souvent, auraient été souhaitables pour les valoriser. D’autres éléments supplémentaires auraient pu être analysés, comme la survie globale avec censure à la greffe. Car même si l’intention de greffe a été prise en compte dans la stratification, cela ne remplace pas un possible effet des greffes qui ont été réellement effectuées au cours du suivi ; ou d’une autre façon, la survie des patients greffés, toujours en comparant les 2 bras sans et avec anticorps bispécifique. Peut-être lors d’une future publication ? Quoi qu’il en soit, le message d’un essai positif et réellement porteur d’espoir reste naturellement le plus important.

Auteurs/autrices

  • Sylvain CHANTEPIE

    Hématologue, PH.
    Expertises : leucémies aigües et allogreffe.
    Liens d'intérêts au 01/01/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
    Correspondance : CHU de Caen.
    chantepie-s@chu-caen.fr

  • Stéphane MORISSET

    Biostatisticien.
    Domaines d'expertise : essais cliniques.
    Liens d'intérêts au 06/03/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
    Liens d'intérêts au 01/01/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêt.

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