L’allogreffe de cellule souche hématopoïétique : c’est la cible à atteindre chez le sujet âgé atteint de LAM

Publié le : 2 janvier 2024
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Augmentation de la survie sans leucémie après allogreffe de cellule souche en comparaison d’un traitement de consolidation des patients de plus de 60 ans avec une LAM en première rémission complète et un donneur compatible : résultat d’une étude de phase 3 randomisée.

Increased LFS Following Hematopoietic Cell Transplantation As Compared to Conventional Consolidation Therapy in Patients >60 Years with AML in First Complete Remission and a Matched Donor: Results of a Randomized Phase III Study.

D’après la communication orale de D Niederwieser et al. Abstract #877, ASH 2022.

Contexte de l’étude

La LAM est une pathologie en augmentation du fait de l’accroissement et du vieillissement de la population. Le pronostic reste mauvais à long terme, du fait de caractéristiques biologiques péjoratives et d’une moindre tolérance des traitements. La chimiothérapie intensive appliquée au sujet âgé s’accompagne de rémission chez une majorité de patient, avec cependant de très fréquentes rechutes (60-80%).

À ce jour, le meilleur traitement de post-rémission reste l’allogreffe de moelle osseuse qui permet de diminuer fortement le risque de rechute(1). De plus en plus de sujet âgé accèdent à l’allogreffe de moelle osseuse de nos jours. L’allogreffe améliore-t-elle la survie sans leucémie en comparaison d’une consolidation sans allogreffe chez les patients âgés atteints de LAM et avec un donneur compatible ?

Il s’agit d’une étude de phase 3 randomisée. Les patients sont enregistrés en cas de RC post-induction et randomisé en cas de présence d’un donneur potentiel compatible (après au maximum 1 consolidation). Un délai de 5 mois maximum entre le diagnostic et la randomisation est demandé, principalement du fait que de nombreux patients rechutent après 6 mois. Un maximum de 12 semaines est également demandé entre la consolidation et l’allogreffe pour les mêmes raisons (figure 1). Les patients éligibles sont âgés de 60-75 ans, avec une LAM de novo ou secondaire ou anciennement AREB en rémission complète avec maximum 2 cycles d’induction, en RC après la 1ère consolidation et disposant d’un donneur 10/10 ou génoidentique. Les patients atteints de LAM3, séropositif pour le VIH, ayant reçu >1 consolidation, >5 mois du diagnostic, avec défaillance rénale, pulmonaire, cardiaque ou hypertension sévère non contrôlée étaient exclus. Après randomisation 2:1, les patients recevaient soit une allogreffe géno ou phéno 10/10 avec conditionnement Fluda-TBI 2Gy et une prophylaxie de GVH par Ciclo+MMF soit un traitement de consolidation sans allogreffe selon les habitudes du centre.

Figure 1 : schéma de l’étude.

Objectifs de l’étude

L’objectif primaire de l’étude est la survie sans leucémie. Les objectifs secondaires sont l’incidence cumulée de rechute, la mortalité non liée à la rechute, la survie globale et les complications. La survie sans rechute et la survie globale sont comparées en utilisant la durée moyenne de survie à 5 ans.

Résultats de l’étude

Au total : 245 patients ont été enregistrés, 179 ont été éligibles et 125 randomisés car 26% n’ont pas été éligibles en raison de rechute, décès, absence de rémission, absence de récupération hématologique. Au final, 83 patients ont été randomisés dans le groupe greffe (66 allogreffés), 42 dans le groupe sans greffe (35 ont reçu une consolidation N°2).

Les 2 groupes de randomisations sont comparables en termes d’âge (médiane 67 et 66 ans), sexe, diagnostic, risque cytogénétique, type de donneur et nombre de comorbidités. Le score de mortalité non liée à la rechute n’était pas disponible pour tous : 73.8% de score 0-3 pour le bras sans greffe et 45.8% pour le groupe HCT (p=0.01). L’incidence cumulée de rechute a été significativement réduite dans le bras allogreffe passant de 91.1% à 37.8% (HR 3.1:1.92-4.98, p=0.00003). La mortalité non liée à la rechute est de 26% dans le groupe greffe et 0% dans le groupe sans greffe. La survie sans rechute à 60 mois est de 28.8% versus 8.9% en faveur du bras greffe. La différence de moyenne de survie sans rechute à 5 ans est en faveur du bras allogreffe (non significatif à 1 et 3 ans) (figure 2). Les causes de décès sont : pour le groupe greffe (57 décès) rechute (50.9%), infection (22.8%), GVH (10.3%), hémorragie (7%), autres (5.3%), rejet (1.8%), second cancer (1.8%) ; pour le groupe sans greffe : 29 décès tous de rechute. L’analyse dans les sous-groupes moléculaires est en cours.

Figure 2 :
différence de LFS entre les groupes HCT et non HCT en faveur du bras HCT à 60 mois.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

L’allogreffe réduit significativement l’incidence de rechute et prolonge la survie sans rechute chez les patients âgés. Cette étude démontre que l’objectif chez le sujet âgé reste d’obtenir une RC et de réaliser une allogreffe de consolidation afin de réduire le risque de rechute.

Critique méthodologique

Cet essai clinique randomisé a pour critère principal un événement composite : la survie sans retour de la maladie (Leukaemia-free survival ou LFS). L’intérêt est double. Clinique d’une part, car ce critère permet d’évaluer la durabilité de la réponse au traitement et de la rémission, statistique d’autre part, car on ne peut comptabiliser plus d’événements (décès plus récidives) ; ce qui permet mathématiquement de diminuer le nombre de patients nécessaires à l’essai (par rapport à une survie globale classique). Il manque dans cette présentation les détails de calcul du sample size (hypothèses et méthode). « Seulement » 125 patients ont été randomisés avec un ratio greffe vs. pas de greffe de 2:1, ce qui paraît peu ; en effet et au final, seulement 66 patients furent greffés et 35 ont reçu 2 cycles de consolidation. 

En plus d’illustrer la LFS entre les deux bras à travers une courbe de Kaplan-Meier, les auteurs ont opté pour une autre représentation (figure 2) utilisant ce qu’on appelle le temps de survie moyen restreint (RMST). La raison en est que le hazard-ratio varie au cours du suivi, autrement dit, les courbes de survie n’évoluent pas de manières proportionnelles. Effectivement, les courbes étaient superposables jusqu’à 12 mois post-randomisation, avant de se distinguer en faveur du bras allogreffe du 12e mois à la fin du suivi. Cette alternative intéressante fait donc fi de tests de log-rank et d’estimations de hazard-ratios puisqu’elle permet de visualiser à quel moment du suivi l’allogreffe porte un bénéfice sur la LFS.

On observe ici que ce bénéfice n’apparaît qu’à partir du 48e mois de manière significative (les intervalles de confiances de 95% étant supérieurs à 0). La LFS a été le critère principal de l’étude, ce qui est positif. Mais, dès lors sur laquelle des 2 représentations ou tests faut-il conclure quant à la positivité de l’essai ? Sur celle de Kaplan-Meier le résultat du test de log-rank comparant les 2 bras n’a pas été affiché (probablement parce que la proportionnalité n’est pas vérifiée). Sur la RMST on s’aperçoit que le bénéfice n’arrive qu’au bout de 4 ans. Les auteurs concluent que la greffe a un intérêt à moyen et longs termes. D’un point de vue statistique, il est difficile d’évaluer le niveau de preuve tant qu’on ne sait pas quelle a été la puissance initiale prévue, ni sur quelle méthode de calcul a été effectué le dimensionnement (régression de Cox ? Test de log-rank ? RMST ?) C’est l’innconnue de cette présentation.  

L’apport de l’allogreffe est très net sur la rechute à partir du 60e mois post-randomisation, avec 37.8% d’incidence de rechute à 5 ans contre 91.1% chez les non-greffés. Concernant les décès sans rechute (NRM), qui est le risque compétitif, ce sont les non-greffés qui ont de meilleurs ont de meilleurs effets. L’incidence est nulle mais avec plus de rechute. Qu’en est-il de la survie globale ? 

 

Auteurs/autrices

  • Sylvain CHANTEPIE

    Hématologue, PH.
    Expertises : leucémies aigües et allogreffe.
    Liens d'intérêts au 01/01/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
    Correspondance : CHU de Caen.
    chantepie-s@chu-caen.fr

  • Stéphane MORISSET

    Biostatisticien.
    Domaines d'expertise : essais cliniques.
    Liens d'intérêts au 06/03/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
    Liens d'intérêts au 01/01/2024 : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêt.

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