LAP dance des agents différenciants

Publié le : 5 novembre 2019Tags: ,

Suivi à très long terme des patients atteints de leucémie aiguë promyélocytaire traités par arsenic trioxide + acide tout trans-rétinoïque : dernière mise à jour du protocole Italo-Germanique APL0406.
Very long-term results of All-trans retinoic acid and arsenic trioxide in non-high risk acute promyelocytic leukemia: latest update of the Italian-German APL0406 randomized trial.
D’après la communication orale de Cicconi L, abstract S115, EHA 2018.
 

Contexte de l’étude

La leucémie aiguë promyélocytaire (LAP) était, avant l’arrivée des agents différenciant tels que l’arsenic trioxide (ATO) et l’acide tout trans-rétinoïque (ATRA), associée à une haute incidence de rechute et une forte mortalité précoce lié aux coagulopathies initiales. Depuis, bien du chemin a été parcouru avec l’émergence aujourd’hui de schémas de traitement dit «chemofree» se basant sur la potentialisation de ces deux drogues. En effet, ATRA comme ATO induisent un certain nombre de modifications post-transcriptionelles du transcrit PML-RARA qui leur sont spécifiques (i.e. SUMOylation pour l’ATO en K160, modification conformationelle par le biais de la liaison de l’ATRA sur LBD-AF2), potentialisant l’élimination de ce dernier par le protéasome (1). Sur le plan clinique, l’essai APL0406 rapporté en 2013 a confirmé cet effet additif chez 156 patients atteints de LAP de risque favorable/intermédiaire. Dans cet essai randomisé comparant ATRA+ATO à ATRA + chimiothérapie chez des patients non défavorables, Lo-Coco et al. ont rapporté des taux de survie sans évènement (EFS) à 24 mois de 97% dans le bras ATO/ATRA contre 86% dans le bras AIDA (suivi médian : 34.4 mois)(2). Ceci se traduisit par un bénéfice significatif en termes de survie globale. Sur le plan de la tolérance, cette combinaison était particulièrement bien tolérée notamment sur le plan hématologique en dehors d’un léger excès d’hyperleucocytose lors de l’induction dans le bras expérimental. Il fut également reporté une toxicité hépatique notable et des allongements du QTc lors de la phase d’induction, contrôlables par l’arrêt transitoire de l’ATO. Ces résultats furent par ailleurs confirmés dans l’essai AML17 en 2015, et ce quel que soit le groupe à risque (3). L’ensemble de ces résultats a conduit à établir la combinaison ATRA+ATO comme le nouveau standard de traitement des LAP non hyperleucocytaires.

Objectif de l’étude

Dans ce travail, Cicconi et al. rapportent les résultats après mise à jour de la cohorte d’extension de l’essai APL0406 portant sur 276 patients de risque faible ou intermédiaire ayant bénéficiés d’un suivi médian de 66 mois (en intention de traiter). Il s’agissait d’une étude randomisée
multicentrique de non infériorité visant à comparer la combinaison ATRA+ATO au schéma AIDA (ATRA+idarubicine).

Résultats de l’étude

Au total, 266 patients (N=129 ATRA+ATO;N=137 ATRA+chimiothérapie) étaient analysables en intention de traiter avec un âge médian de 46 ans dans chacun des bras. Le nombre médian de globules blancs était comparable entre les deux bras, soit d’environ 1,4 G/L. A 72 mois, la survie sans évènement était de 96.6% dans le bras ATO/ATRA contre 77.4% dans le bras contrôle (p<0.0001). Aucun décès n’a été observé lors de l’induction chez les patients ayant reçu le schéma «chemofree» (contre 4 pour ceux ayant reçu de la chimiothérapie). Dans le bras Flag-Ida, 17 cas de rechutes ont été recensés contre seulement 2 dans le bras expérimental et les deux seuls patients réfractaires sur le plan moléculaire post-induction avaient été traités par le bras standard. Au total, seulement deux patients ayant reçu ATRA+ATO sont décédés pendant la période de suivi alors qu’ils étaient en rémission complète (pneumonie à H1N1, cancer du côlon). Sur le plan de la survie globale, cet excès de rechute dans le bras chimiothérapie se traduisit par une avantage de la combinaison ATO/ATRA par rapport à ATRA+chimiothérapie (98.3 vs 89.8%, p=0.004). À titre anecdotique, l’incidence de rechute était de 1.7% (2 patients) dans le bras ATO/ATRA contre 15.5% dans le bras chimiothérapie classique (p=0.0001). Le fait le plus marquant restait que des rechutes pouvaient encore survenir jusqu’à plus de 48 mois chez les patients traités par ATRA+chimiothérapie alors qu’aucun évènement n’a été reporté chez ceux ayant reçu ATRA+ATO au-delà de ce délai. Aucun évènement indésirable retardé n’a par ailleurs été observée dans le bras expérimental, notamment sur le plan carcinologique (contre 2 cas de néoplasies secondaires dans le bras contrôle).

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Ce travail confirme les excellents résultats de la combinaison ATRA/ATO qui s’est aujourd’hui imposée comme le traitement standard des patients atteints de LAP de risque favorable/intermédiaire. Outre la mortalité précoce lié aux coagulopathies fréquemment présentent au moment du diagnostic, les courbes de survie des patients désormais traités par cette combinaison ont de quoi faire rêver. En effet, avec seulement 2 rechutes et aucun décès toxique, il est tentant de penser que les LAP de risque faible/intermédiaire sont de l’histoire ancienne. Néanmoins, un profil de toxicité spécifique semble se dégager de cette combinaison, principalement par le biais de l’adjonction de l’ATO. Outre des neuropathies axonales en liens avec le métabolisme de la thiamine, des cytolyses de grade 3-4 surviennent dans environ 40% des cas, ce qui semble être supérieur à ce qui est observé avec de l’ATO seul. Le mécanisme lié à cette hépatotoxicité reste pour le moment mal connu mais semble être lié à des processus de stress oxydatif lié à la drogue, réversible et contrôlable par l’arrêt de l’ATO(4). Quoi qu’il en soit, ces effets indésirable sont généralement contrôlable, et qui plus est, la faible myélotoxicité de ATRA/ATO permet une réduction significative du nombre de neutropénie fébrile et donc d’une réduction de la morbidité/mortalité infectieuse (2). À l’inverse, même s’ils ne représentent qu’une minorité des patients (+/- 25%), les LAP dites de risque élevé (>10G/L de globules blancs) n’ont pas l’AMM (non reconnu par l’EMA (European Medicines Agency) et la FDA (Food and Drug Administration) pour la combinaison ATRA/ATO. Néanmoins, dans l’essai Nord- Américain C9710 évaluant l’intérêt de l’adjonction de deux cycles de consolidation d’ATO en plus de celles par ATRA, Powell BL et al. avaient montré que l’arsenic pouvait être bénéfique aux patients de haut risque(5). De plus, des données récentes sembleraient indiquer que la combinaison
ATRA+ATO et gemtuzumab ozogamycine pourrait faire au moins aussi bien voir mieux que ATRA+chimiothérapie sans excès de toxicité. Le seul essai randomisé ayant testé cette triple combinaison (28 sur les 30 patients à haut risque ayant reçu du gemtuzumab) ne permet cependant pas d’évaluer le réel impact de l’anti-CD33 sur l’incidence de rechute ainsi que sur la survie(3). Il faudra sans doute encore attendre de nouveaux essais randomisés spécialement dédiés à ce sousgroupe de patient pour franchir le cap du «chemo-free».

Critique méthodologique

Cette étude randomisée multicentrique de non infériorité comprend 276 patients inclus. Le flow-chart indique 270 patients éligibles et 266 patients en intention de traiter.
Méthodologie : étude de non infériorité
Les essais de non-infériorité sont aujourd’hui très fréquents dans la mesure où il existe un traitement de référence dans bon nombre de pathologies. Les concepts de ces essais ne sont pas fondamentalement éloignés des concepts des essais de différence, la principale particularité concerne la notion de « perte d’efficacité acceptable » ou borne de non-infériorité. Cette notion pose essentiellement le problème clinique suivant : combien acceptons-nous de perdre pour un bénéfice de simplification d’utilisation, ou de suppression d’événements indésirables graves mais rares, de coût, de qualité de vie, etc. ?
Tout rapport ou article faisant référence à un essai de non-infériorité devrait donc fournir un descriptif détaillé des conditions d’administration, d’observance au traitement et le cas échéant du suivi biologique du traitement de référence. Dernière recommandation, dans un essai de non-infériorité, l’analyse en intention de traiter reste primordiale notamment pour respecter la randomisation mais l’analyse per protocole, plus conservatrice dans cette hypothèse de non-infériorité, sera également fondamentale (traitement optimal…). Pour conclure à la non-infériorité, il est souhaitable que les analyses per protocole et en intention de traiter donnent les mêmes résultats.
Analyses
Les distributions de survie ont été estimées par Kaplan-Meier, l’incidence cumulée de la rechute était calculée par la méthode non paramétrique appropriée. Les différences en termes survie sans évènement ont été évaluées par un test du log-Rank. Le test de Gray a été appliqué pour comparer les courbes d’incidence cumulée. Un focus spécifique est dédié au test de Gray dans ce numéro.
Références

  1. Dos Santos GA, Kats L, Pandolfi PP. Synergy against PML-RARa: targeting transcription, proteolysis, differentiation, and self-renewal in acute
    promyelocytic leukemia. J Exp Med 2013; 210(13):2793-802.
  2. Lo-Coco F, Avvisati G, Vignetti M et al. Retinoic acid and arsenic trioxide for acute promyelocytic leukemia. N Engl J Med 2013; 369(2):111-21.
  3. Burnett AK, Russell NH, Hills RK et al. Arsenic trioxide and all-trans retinoic acid treatment for acute promyelocytic leukaemia in all risk groups
    (AML17): results of a randomised, controlled, phase 3 trial. Lancet Oncol 2015; 16(13):1295-305.
  4. Yedjou CG, Tchounwou PB. Oxidative stress in human leukemia (HL-60), human liver carcinoma (HepG2), and human (Jurkat-T) cells exposed
    to arsenic trioxide. Met Ions Biol Med 2006; 9:298-303.
  5. Powell BL, Moser B, Stock W, et al. Arsenic trioxide improves event-free and overall survival for adults with acute promyelocytic leukemia: North
    American Leukemia Intergroup Study C9710. Blood 2010; 116(19):3751-7. 

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