Une nouvelle stratégie diagnostique pour l’embolie pulmonaire ?

Réf.HematoStat.net ; 2(1) : U9

Yonathan Freund and al. Effect of a Diagnostic Strategy Using an Elevated and Age-Adjusted D-Dimer Threshold on Thromboembolic Events in Emergency Department Patients With Suspected Pulmonary Embolism: A Randomized Clinical Trial. JAMA2021 Dec 7;326(21):2141-2149.doi: 10.1001/jama.2021.20750

Effet d’une stratégie diagnostique utilisant un seuil de D-Dimères élevé et ajusté à l’âge sur les événements thromboemboliques chez les patients des services d’urgence présentant une suspicion d’embolie pulmonaire : un essai clinique randomisé

PMID: 34874418

Contexte de l’étude

Les suspicions d’embolies pulmonaires sont un motif fréquent de consultations aux services d’urgences. La stratégie diagnostique optimale est sujet à de nombreux débats. L’algorithme diagnostique conventionnel est basé sur une approche bayésienne et combine une évaluation subjective de la probabilité pré-test d’embolie pulmonaire avec le taux de D-Dimères dont le taux, inférieur au seuil déterminé (sauf chez les patients ayant une forte probabilité), permet d’exclure l’embolie pulmonaire et évite la réalisation d’imageries couteuses. D’autres stratégies dérivées ont vu le jour comme les critères PERC (Pulmonary embolism rule-out criteria) ou l’utilisation d’un seuil de D-dimères ajustés à l’âge. Il a également été rapporté que les critères YEARS pouvaient exclure de manière fiable le diagnostic d’embolie pulmonaire de manière sécuritaire. Les critères YEARS sont (i) la présence de signes cliniques de thrombose veineuse profonde, (ii) une hémoptysie et (iii) l’embolie pulmonaire est le diagnostic le plus probable. Cependant, ces critères YEARS n’ont pas été évalués dans un essai clinique randomisé, de même que leur combinaison avec les critères PERC.

Objectifs de l’étude

L’objectif de cette étude était d’évaluer de manière prospective l’utilisation d’une stratégie d’exclusion de l’embolie pulmonaire combinant les critères YEARS et PERC avec un taux de D-dimères ajusté à l’âge.

Il s’agit d’un essai prospectif, multicentrique, de non-infériorité, en cross-overet randomisé en grappes. Les patients consultants aux urgences et qui avaient un risque d’embolie pulmonaire faible non exclus par les critères PERC ou ceux ayant un risque intermédiaire ont été inclus dans cette étude. Chaque centre était randomisé pour la séquence des périodes d’interventions (étude en cross-over, figure 1)

Figure 1

Résultats de l’étude

Sur les 1 414 patients inclus dans cette étude (âge moyen de 55 ans, 58% de sexe féminin), 1 217 (86%) ont été analysés dans l’analyse per-protocole (tableau 1). Une embolie pulmonaire a été diagnostiquée dans les services d’urgences chez 100 patients (7,1%). À 3 mois, une embolie pulmonaire a été diagnostiquée chez 1 patient dans le groupe intervention vs 5 patients dans le groupe contrôle.

Tableau 1 : critères principaux.

Parmi les 6 critères d’évaluation secondaire, seuls 2 étaient statistiquement significatifs dans le groupe intervention comparé au groupe contrôle : l’imagerie pulmonaire et la durée médiane de séjour (tableau 2).

Tableau 2 : critères secondaires.

Quels impacts sur les connaissances et les pratiques cliniques ?

Chez les patients consultant aux urgences et chez lesquels une embolie pulmonaire est suspectée, l’utilisation des critères YEARS combinée à l’utilisation d’un seuil de D-Dimères ajusté à l’âge chez les patients PERC positifs était comparable à la stratégie conventionnelle. Cette nouvelle stratégie d’élimination de l’embolie pulmonaire ne nécessite pas d’imagerie et a permis de diminuer d’environ 10% le nombre d’examen radiologie réalisé. Cependant, l’utilisation de cette combinaison, qui plus est séquentielle, peut être parfois difficile à implémenter dans un service d’urgence.

Critique méthodologique

Cette publication a plusieurs originalités intéressantes. La première se situe au niveau de la randomisation, qui est faite à l’échelle de l’établissement et non pas du patient, avec une stratification selon le pays (France ou Espagne) et la taille de l’établissement pour réduire les biais. La seconde originalité est qu’il s’agit d’un essai croisé (ou dit « en cross-over »), c’est-à-dire que les établissements vont tour à tour changer de stratégie de diagnostic sur deux périodes d’intervention différentes (avec une courte période de battement entre deux). Naturellement, les résultats des objectifs primaires et secondaires obtenus seront ajustés sur 4 paramètres relatifs à cette configuration : la stratégie d’intervention, la période, l’interaction de ces deux variables, et enfin l’établissement (en tant que variable aléatoire puisqu’on ne peut pas les hiérarchiser les uns par rapport aux autres). Un autre élément de sécurité important : pour établir le diagnostic dans les trois premiers mois, 3 cliniciens indépendants spécialisés ont été sollicités « en aveugle » (sans savoir dans quel bras se situaient les patients concernés). Étant donné qu’il s’agit d’un essai de non-infériorité, ce sont les résultats sur la population per-protocole (c’est-à-dire celle ayant pu permettre l’évaluation de l’outcome étudié après exclusion d’autres patients inéligibles ou qui ont dévié du protocole) qui décident des conclusions à tenir sur cet essai, et non pas ceux sur la population totale randomisée. Une analyse alternative a quand même été effectuée pour « combler » les vides causés par les quelques données manquantes sur l’outcome principal afin de créer une population d’étude dite « as randomized ». Ceci a pu se faire grâce à l’utilisation de la méthode d’implémentation multiple (un outil qui a recours à des simulations de données). C’est là la troisième originalité de cette étude. Petit bémol : ajuster les résultats n’est pas possible avec cette méthode.

Une dernière originalité est que cette publication tente de s’affranchir de l’usage de p-values dans les tables de résultat, laissant simplement l’estimation ajustée (ou non) des différences entre les deux stratégies avec leurs intervalles de confiance (unilatéraux de 97.5% sur l’outcome principal et bilatéraux de 95% sur les critères secondaires). Ceci peut paraître perturbant pour les personnes très (trop ?) habituées aux quasi indispensables p-values, mais la lecture est tout aussi simple pour l’outcome principal (la différence estimée ajustée est inférieure à la marge de non-infériorité donc c’est significatif) et les critères secondaires (si la valeur 0 est incluse dans l’intervalle de confiance, alors c’est non-significatif). De plus il est spécifié que ces résultats sont à visée exploratoire et du coup, ne sont pas soumis quelconque correction, ce qui rend ces valeurs tout à fait… « secondaires », où chacun y verra son importance. Ces résultats-là restent avant tout descriptifs et n’ont pas de réelle influence sur la conclusion de cet essai. Seules les p-values indiquées dans le texte concernaient les effets de l’ordre d’intervention et de stratégies, pour décrire le fait que ces facteurs n’avaient aucun impact sur le risque d’effectuer une thromboembolie veineuse.

Points forts Points faibles
Cliniques
  • Efficacité de la nouvelle stratégie vis-à-vis de l’exclusion du diagnostic d’embolie pulmonaire.
  • Réduction du nombre d’examens d’imagerie.
  • Stratégie séquentielle qui peut être difficile à implémenter aux urgences.
  • Population étudiée à risque faible ou intermédiaire d’embolie pulmonaire.
Statistiques
  • Méthodologie et stratégie très intéressantes (type d’essai, présentation des statistiques…).
  • Recours à l’implémentation multiple pour analyser la population« comme si elle était randomisée ».
  • Le fait de ne pas indiquer de sacro-saintes p-values dans les tables peut être déstabilisant pour une partie du lectorat.
  • 3 logiciels de statistiques ont été utilisés, mieux vaut tout programmer sur un seul logiciel pour des raisons de reproductibilité.

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